lundi 14 janvier 2008

"Être sans destin" - Imre Kertész


Le bimestriel Transfuge propose une entrevue avec Imre Kertész. Je n'ai pas encore lu le livre dont la traduction française vient de paraître, "Dossier K.", qui semble être une sorte de dialogue littéraire de Kertész avec lui-même. Mais cet article a ravivé mes souvenirs de lecture de ses romans précédents, et en particulier d'"Être sans destin".

Le premier roman d'Imre Kertész (prix Nobel de littérature en 2002) ne se contente pas de décrire les camps de concentration nazis vus à travers les yeux d'un adolescent. Il ne s'agit pas seulement d'une description factuelle de l'horreur concentrationnaire. Il ne faut pas confondre le jeune héros et l'auteur, même si Kertész lorsqu'il était à Auschwitz avait l'âge du personnage. Le texte va au-delà du témoignage. L'art du roman est de nous permettre de voir le monde à travers une autre conscience : "Être sans destin" est un remarquable roman.

Dans les camps, pour survivre, il fallait composer avec l'horreur : c'est de ce prix à payer que traite le livre. Par une sorte de glissement, pour que la victime s'en sorte, le mal absolu doit lui devenir aussi naturel qu'au bourreau. L'instinct de survie impose cette compromission. Kertész le rappelle dans l'entrevue : "Comme l'a dit Primo Levi, qui à mon avis, n'est pas assez radical, les véritables innocents sont ceux qui sont morts." Et plus loin : "S'il (l'enfant du livre) n'avait pas accepté la logique du monde concentrationnaire, s'il ne l'avait pas d'une certaine manière faite sienne, il n'aurait pas survécu. S'adapter était une question de vie ou de mort". 

Le livre de Kertész parvient avec force à nous plonger dans ce monde et à nous faire comprendre comment on pouvait, malgré tout, vivre à Auschwitz. À cet égard et à ma connaissance, bien que l'expression puisse paraître étrange, "Être sans destin" est l'oeuvre littéraire la plus intelligente sur la Shoah.

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