mercredi 16 juillet 2008

La honte

Quel sentiment bizarre ! Un foutoir sans nom. Wikipédia confirme : "la honte est une émotion mixte". Merci, j'avais remarqué !

D'origines et de nuances infinies, je me demande quelle logique est la sienne. Elle pèse surtout par les complications qu'elle s'invente ; se travaillant comme la grenouille, elle alimente des conséquences intérieures sans proportion avec ses causes. Dans ce hiatus s'engouffrent tout sens de la mesure, et ma santé.

En guise de symptôme, je monte le son des "Funérailles de la Reine Mary". Sous l'air de vous élever l'âme à peu de frais, la musique flatte au col l'étalon de la tristesse. Elle me renvoie à des fantasmes de vengeance dignes d'Orange Mécanique. Et ce long discours intérieur qu'on égrène : bouh ! sans queue ni tête. L'orgueil et la soumission se mêlent comme yin et yang, l'un tour à tour prenant le pas sur l'autre, on se rebiffe, on capitule, me voilà ballotté comme un noyé entre deux eaux. Pas confortable, l'affaire. D'ailleurs... tiens ! mon pur-sang est un rat.

En réalité, j'ai oublié l'offense. A-t-elle eu lieu ? Et dans quel monde ? On n'a plus pied dans celui-ci. Dans quel temps ? On les vit tous à la fois, dans la plus grande confusion ; et conformément à une citation, en avivant les souvenirs, la honte s'ajoute, continûment.

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Mon institutrice de CM2 alignait devant le tableau les élèves qui n'avaient pas répondu à telle ou telle question. Garçon modèle, je n'en fus jamais. Elle enjoignait le reste de la classe à tendre deux doigts vers eux en criant : "Ho ! les cornes, ho ! les cooooorn-heus..." Même à l'époque je n'y comprenais rien. Les deux doigts formant un V de victoire, mes pauvres camarades ne m'en semblaient pas sortir très diminués. Et si "les cornus" désignaient les cocus, je ne voyais pas matière à rire s'ils (s')étaient trompés. L'expression aujourd'hui, comme "faire la nique", me paraît d'une vulgarité impardonnable. Au fond, j'avais honte d'être du mauvais côté de la salle.

Elève modèle ? Pas tant que cela : puisque je répondais juste, il fallait qu'elle me diminue d'une autre façon et fustigeait souvent mon prétendu manque de maturité affective, qu'elle espérait voir me jouer des tours à l'entrée au collège. Que je l'ai haïe... La 6ème au contraire me libéra. Elle est morte depuis, la bougresse, d'un cancer qui avait, notoirement, alors déjà pointé son nez. On distinguait sur sa nuque l'élastique de sa perruque entre deux mèches.


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On pourrait la trouver à l'origine de bien des ruptures - amoureuses, amicales, qu'importe. J'évolue sur le fil de son paradoxe : la honte qui tisse du social, en me rappelant que j'existe sous les yeux des autres, pourrait aussi bien, d'une chiquenaude, d'un petit souffle en trop, me faire éclater et m'en exclure tout à fait. 

mardi 15 juillet 2008

Paris-Taipei

Le colis m'est parvenu sans encombre. Je l'ai ouvert, en ai consciencieusement examiné le contenu : deux petites jarres croquignolettes et du thé... du thé... Mais je ne me jette pas déjà sur ces fraîcheurs, j'en profite au contraire pour revenir vers les références que j'ai délaissées cette année. Manière de ne pas céder à la fébrilité. Je me les remémore et, avec le recul, les considère sous un nouveau jour.



Stéphane lance un concours de Cha Xi. Diantre, je ne suis pas un élève très assidu, il me faudrait bachoter. Et pas de vacances avant un bon bout de temps. En image et en musique, voilà juste un aperçu de ce à quoi ressemblait mon laps de thé ce soir.

jeudi 10 juillet 2008

Qui nous réchauffe





King Arthur - extrait de l'acte III
H. Purcell

lundi 7 juillet 2008

Funny Pu au Bizan

Entre deux plats d'un kaiseki parfait, son parfum l'a trahie. Elle est arrivée dans son écrin de laque noire et sa présence m'a tout de suite interloqué. Jusque là, avant de goûter, je me disais : "bien sûr...", jouais les blasés et ne m'extasiais qu'après avoir porté le mets en bouche. Alors, au milieu de ce repas d'un classicisme impeccable, pour moi révolutionnaire sans sembler y toucher, la franche surprise émergea là où je l'attendais le moins.

Si c'est l'odeur du miso, je n'en avais jamais goûté. Pas grand-chose à voir avec les bouillons insipides servis d'habitude, dans lesquels on pêche les dés de tofu parmi les algues qui s'agrippent aux baguettes. Là, le parfum, d'une force peu commune, me paraissait résolument capiteux. Et ce n'était pas l'effet du saké à la prune bu en apéritif, ni du bordeaux blanc qui glissait doux sur les sushis... J'ai soulevé le couvercle du bol et l'ai porté à mon nez, comme celui d'un zhong, avec l'impression de humer un sheng en train d'infuser. Aux notes de cuir et de marée s'ajoutait un petit quelque chose d'indéfinissable qui, sur le coup, me ravissait.

Pour en avoir le cœur net, j'ai le surlendemain déballé la Yi Wu 2003 de Teamasters qui sommeillait depuis des mois dans mon tiroir. J'ai été surpris par la douceur, la suavité, le fruité d'abricot de sa liqueur. Sa verdeur n'avait rien d'agressif, son velouté et sa fraîcheur se prolongèrent joliment dans les fruits que nous avons mangés peu après. À cause de ma frilosité, je l'avais même trop peu dosée. Qui l'aurait cru ? Serais-je en train de me transformer en amateur de Sheng ? (Ou en Harris Glenn Milstead ?...)

En tout cas, j'ai constaté que cela ne ressemblait pas à la soupe du vendredi. Qu'importe ! j'ai vérifié que le plaisir du Pu Er ne m'était pas refusé, multipliant par deux mes sources de satisfaction du week-end : un excellent thé, précédé d'une soupe étonnante au Bizan. Dans ce restaurant, j'aurai en outre découvert comme l'art culinaire peut transfigurer l'idée même du beignet de crevettes, qui s'avère parfois autre chose qu'une boulette saturée de friture rance. J'en témoigne.

Entre ces deux épisodes, au cours d'un autre dîner fait de veau et de carottes à la crème fondantes et délicieuses, la conversation porta un moment sur l'éducation du goût. Le goût demeure pour moi une chose si mystérieuse, son éducation me paraît relever du miracle ou de l'imposture, au mieux de la chance. Sans toujours pouvoir l'expliquer, je désigne tel plat, telle préparation comme "meilleure" que telle autre, mais me montre en même temps capable d'apprécier les choses les plus insensées. Sans les opposer, je perçois dans le "c'est bon" et le "j'aime" une différence de nature. Peut-être trouve-t-on bon en esprit quand on aime avec le corps... En matière de thés (et de misoshiru !), cet écart, en revanche, s'est chez moi totalement résorbé.

mercredi 2 juillet 2008

"Valse avec Bachir" - Ari Folman

Les commentaires assassins envers un film ou un spectacle qui m'a enthousiasmé m'irritent outrageusement. Ce n'est pas un refus de la contradiction, c'est de la frustration. J'ai vu "No Country for old men" à côté d'un S. trépignant, excédé, qui quitta la séance dans un état de nerfs proche de l'hystérie. J'ai dû batailler pour préserver le petit nuage sur lequel le film m'avait projeté. (Dans certaines circonstances, le mot "projection" tombe à propos.) La frustration naît de ne pas pouvoir toujours partager mes plaisirs.

La fin du film d'Ari Folman m'a surpris en larmes, avec le sentiment qu'on m'en avait dévoilé encore un peu plus sur l'humain. Malgré des beautés indéniables - un art de la couleur, une bande-son extraordinaire - le propos touche davantage que la forme ; certaines séquences ratées, mal dessinées, souffrent d'une animation assez pataude. Pourtant, cette fois, je trouve les rares arguments avancés pour éreinter ce film, parmi des concerts d'éloge, plus révélateurs que les dithyrambes. Après tout, il suffit de voir : l'émotion que j'ai ressentie est à la portée du premier venu.

Passons sur les reproches de psychologisme : on peut blâmer Soulages pour une palette trop noire, ou Proust pour l'ampleur de son lexique. Au palmarès des critiques les plus surprenantes que j'ai lues sur ce film figure en bonne place l'idée selon laquelle il ridiculiserait l'armée israélienne. Me voilà, de mon petit cumulus en rase-mottes, catapulté sur une autre planète.

A l'inverse, d'autres y voient une tentative scandaleuse de minimiser le rôle d'Israël dans le massacre de Sabra et Chatila. J'ai lu quelque part ce complément qui m'a laissé songeur : "Il se déculpabilise en accusant les autres", quand Folman cherche à regarder enfin, pour lui-même et son pays, la réalité en face. N'est-il pas plus simple d'occulter que de se savoir coupable ? On m'a d'ailleurs rapporté les dires d'une personne qui, contre tout sens élémentaire de psychologie, jugeait peu crédible le fait qu'un homme puisse, suite à un traumatisme, abolir tant de choses en esprit. Et face à l'ensemble de ces propos, devant ce refus de démordre de schémas a priori, je me demande si ma naïveté résistera longtemps et si tout discours, effectivement, relève du politique.

Il me reste la consolation qu'en grande majorité, mes contemporains savent mettre de côté leurs inclinations sionistes ou antisionistes, faire usage en tout lieu de leur intelligence et regarder ce film, simple et magnifique, pour ce qu'il est.