jeudi 29 janvier 2009

Opéra'n'Roll

Dans un entretien accordé au Monde il y a quelques semaines, le baron Mortier fustigeait à nouveau le prétendu conservatisme du public de l'Opéra. Ce faux débat faisait sourire ; sa récurrence, son indignité fatiguent. Malgré son titre, l'homme n'entreprend pas de redonner à cet établissement ses lettres de noblesse. Au contraire : "anti-franquisme", démocratie, jeunisme, mise à bas de l'Opéra comme expression d'une culture "grand-bourgeoise", tels sont ses mots d'ordre. Une révolution, qu'on leur coupe la tête ! Dans sa bouche se déploie une rhétorique de lutte des classes médiocre et désuète, qui fleure bon ses seventies. Naturellement on ne discute pas la qualité de tel ou tel spectacle, laissée à l'appréciation de chacun, ni la qualité générale de ses programmations. La question n'importe pas. Seul importe le geste politique. Tout est politique : écouter, regarder, applaudir, huer, ricaner, cracher, ne rien dire, tonitruer, respirer peu, respirer fort, quoi que vous fassiez vous voilà propulsé dans un camp ou l'autre de la guerre des catégories socioculturelles. De l'Opéra, exit le sale plaisir, ce luxe aristocratique, le plaisir qui émeut, qui titille dans son mystère et sa beauté, la vibration esthétique dont l'espoir fait qu'on retourne, malgré tant d'ennui et d'énervement, à Bastille ou Garnier sans tenir compte des critiques ni des élucubrations d'un directeur sur le décours. 

Selon le baron Mortier, "l'Opéra de Paris n'a pas le public qu'il mérite (...) [Il] rêve d'avoir le public du Théâtre de la Ville ou celui de La Colline. (...) Cela dit, par [son] action, le public grand-bourgeois du 16ème arrondissement a diminué". Alleluia. Que je fréquente à l'occasion les théâtres cités, avec bonheur parfois, et que j'exècre sa programmation comme ses propos, voilà qui ne compte pour rien ; il parle grosso modo, transvasant le public en pensée d'ici à là comme on transbahute des pâtés. 

Un sens minimal d'observation suffirait pourtant à s'assurer que ce monsieur se trompe de deux façons.

D'abord dans la contradiction interne à son discours. "[Le] gros défaut [des Français] est d'avoir un avis sur tout, même sur ce qu'ils ne connaissent pas." Il en appelle donc à un public de connaisseurs, habilités seuls à émettre une opinion sur ce qu'ils voient. Comment entrer dans le cénacle ? Par votre faculté à encenser sans réserve. Les cochons dédaignent la confiture : ce sont des cochons, on vient de vous le dire ! Et qu'ils culpabilisent d'être cochons, ils savent où trouver la rédemption. Sous un discours populiste, ce n'est qu'un autre élitisme que le Baron veut établir. N'est-ce pas par une contradiction similaire qu'ont flanché les totalitarismes socialistes ?

Par ailleurs, M. Mortier se trompe dans son propos même. Car son Opéra s'est enfin attaché le public qu'il mérite : un public de rustres et de malappris.

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Vous arrivez bien à l'heure. Deux amis vous accompagnent. Vous montez trois étages pour constater que la loge n°4, contrairement à ce qu'on vous a affirmé au téléphone, se situe totalement de côté près de la scène et non proche de l'amphithéâtre. Vous n'y verrez pas grand-chose, à part en plongée sur la fosse. Tant pis. Vous attendez que l'ouvreuse déverrouille la loge quand vous constatez que le couple près de vous a en main des places portant les mêmes numéros que les vôtres. Vous vérifiez les dates : tout pareil ! C'est insensé ! Que vous ayez gravi ces escaliers les premiers, atteint la porte les premiers, attendu en tête, acheté même les places depuis des mois, n'y fera rien : Porcinet et Porcinette vous bousculent, se précipitent et s'avachissent quand vous essayez encore de réfléchir avec l'ouvreuse à une solution. La jeune femme, dépassée par l'événement, tente de prévenir un supérieur vers qui vous diriger, non sans se faire alpaguer vingt fois en chemin par des personnes en quête de leurs sièges. Vous la suivez en pestant. Quelle lenteur...

Elle disparaît dans l'amphithéâtre, en ressort aussitôt. Puis rien. A-t-elle prévenu ? Elle a prévenu. Attendre... L'heure file. Placeur n°1 apparaît. Il semble, contrairement à sa collègue, maîtriser les rouages de la maison. Enfin le Messie ! Le temps de retourner à la loge, de vérifier les dires, de saisir l'ampleur de la situation, d'échanger deux mots avec le couple qui refuse de bouger, et le voilà presque aussi dépourvu que Petite Ouvreuse. Déception. Porcinet lui lance, l'oeil en coin : "Faites-les donc descendre à l'orchestre, ils le méritent bien !" Qu'ont-ils donc tous en ce moment avec leurs obsessions de mérite ? Porcinet, qu'est-ce qu'il mérite ? Dites-moi ! Et pourquoi tout cela ne se règle-t-il pas d'un coup de talkie au contrôle ?

Deux solutions : les places de secours, scandaleusement malcommodes et d'un niveau bien inférieur au tarif que vous avez payé ; ou descendre à l'accueil rechercher dans le système informatique les places encore disponibles. Vous vous méfiez du système : n'a-t-il pas déjà revendu toutes les places en quadruple exemplaire ? Pas le choix, vous redégringolez les étages. Vous espérez l'orchestre, sinon la corbeille. Au contrôle, il faut attendre. Un vendeur de programme vous somme même de vous dépêcher. Tiens, trois sièges sont disponibles. Où ? Là-haut. Zou, on remonte. Au bon étage, Placeur n°1 tend les billets à son collègue et lâche : "Loge 30". 

C'est là. C'est marqué, là. Vite ! L'orchestre joue. Placeur n°2 regarde les billets, interloqué : les numéros ne correspondent pas. Placeur n°1 s'est éclipsé dans la seconde, qui pourra lui expliquer ? "Mais... loge 30 ? Qui vous a dit loge 30 ?" Vous vous énervez : enfin, son collègue vient de le lui dire ! Vous venez du contrôle ! Il veut qu'on retourne vérifier ? C'est vrai, vous n'avez rien de mieux à faire de votre soirée sinon monter/descendre ce foutu escalier... Placeur n°2 s'irrite de votre ton, fronce les sourcils et vous prend de haut : "Franchement Monsieur, vous avez plutôt intérêt à vous calmer." Vous vous moquez totalement de l'endroit où situer votre intérêt, le spectacle a commencé. Engouffrez-vous dans la loge et tentez donc de vous y installer. Et en silence ! Non mais !...

Trois rangs de deux chaises. Le troisième rang est occupé, puis une marche descend vers deux chaises libres, plus une contre la rambarde à côté de Vieux Moustachu Malodorant. Vous vous faufilez. Vous tentez de vous asseoir derrière VMM. Las ! il allonge si loin ses jambes que vous ne disposez que de dix centimètres pour vos genoux. La marche vous empêche de reculer. Vous lui demandez en chuchotant d'avancer son siège. Il souffle, maugrée, vous envoie paître et n'en fait rien. Vous vous contorsionnez. Vous insistez. Il se bute. Vous êtes coincé. Rien à faire.

Récapitulons : on vous a délivré des informations erronées lors de l'achat de l'abonnement il y a six mois ; les mêmes places ont été émises deux fois ; au jeu des chaises musicales, c'est le gros derrière du premier rustaud venu qui gagne ; les placeurs n'ont pas les moyens de gérer la situation en un temps optimal ; on vous a fait monter, descendre, remonter tous les étages ; vous manquez le début du spectacle ; le personnel vous toise ; le public vous emmerde. 

Viva la musica. 

samedi 24 janvier 2009

Daylight


Était-ce il y a deux semaines ? Dans la salle de bains avant de partir j'ai aperçu par la fenêtre, à l'est au ras des toits, l'horizon s'éclaircir. Cela m'a rappelé que les jours dorénavant s'allongent. J'ai mis le nez dehors plein d'espoir ; il n'en paraissait rien. Une demi-heure après non plus. Et puis il a plu, même s'il faisait moins froid. Je sors tous les matins sans comprendre d'avoir à m'arracher du lit en pleine nuit. Le mois de janvier a oublié ses résolutions. À midi... franchement, vous appelez ça "jour" ? L'obscurité vacille à peine. Le ciel s'aplatit et ça se dilue méchamment, vert à force de gris. Si je tenais le tartouilleur... Le soir, devinez : je rentre la nuit. Remboursez !



Aujourd'hui, un rai de lumière oblique atteint presque le fauteuil. Les orchidées refleuriront. Il n'est pas cinq heures, c'est déjà fini. Flûte ! un petit effort, quoi !

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Daylight and the Sun
Antony & the Johnsons

lundi 19 janvier 2009

Rites

Courir tout nu sous la lune, cela doit être amusant. Vite, ôtons nos vêtements, chantons en chœur et dansons ! Sentez-vous l'herbe fraîche sous vos pieds ? La nature nous dévore, l'air vif emplit nos poumons. Les températures s'adoucissent et je supporterai bien un peu de pluie... Prochaine lune pleine ? Le 9 février. J'ai le temps de crever trois fois de pneumonie. Je grelotte... Si on rentrait ?

Au moins, chez les maçons, on ferme la porte, pas de courant d'air. Je jette un coup d'oeil au programme : vertu, persévérance, sens de la mesure, écoute et réflexion... N'est-ce pas alléchant ? Qui ne voudrait cultiver ces splendeurs ? J'aurais cotisé depuis longtemps si tant de salamalecs ne m'avaient découragé. 



C'est malin. Je ne mettrai pas le nez dehors. Je me tourne, me retourne, jette des regards désespérés autour de moi. Que faire ? La bibliothèque me tend les bras, je vais feuilleter le dictionnaire. Riche idée : on y dégote de ces trésors ! Tous ces mots dont j'ignorais l'existence, et ceux dont je me plais à réviser le sens et la graphie... Mais, au secours ! l'orthographe a fait de moi un "bedonnant, repus et suffisant" ! ou un "jeune arriviste, raie à la gomina et lunettes bien propres" - la distinction s'effectue probablement par l'âge ; malgré la médiocrité du mien, une alopécie galopante me dispense de l'usage de tout produit capillaire, j'entre de fait dans la première catégorie. Beurk ! Vite, refermons le grimoire, je ne veux pas subir ses pouvoirs magiques et me transformer si jeune en crapaud.
(Notez au passage dans l'article en lien comme on refuse d'emblée aux personnes d'un milieu social défavorisé le seul goût des mots, de la lecture et de l'orthographe. Je m'affligeais de voir mes collègues écrire comme des sagouins, j'oubliais que les pauvres font des crétins plus sûrs.)

Le réel m'atteint de toute part. Les plantes meurent, les gens meurent aussi, il faut se coltiner tout cela. La foi en soulage certains, j'ai perdu la mienne en route et éprouve quelque réticence à l'anthropophagie. Même au boulot je ne serai plus tranquille - c'est bien simple, je n'irai plus, na ! J'attends un peu, je me lève encore le matin. Les jours passent, les saisons passent, rien n'y fait, on meurt toujours. Je vous vois venir : il ne suffit pas de ne plus y penser, on meurt tout de même, je vous assure ! Et j'ai beau calfeutrer les fenêtres, la poussière s'agglutine encore sous le lit, derrière la porte, le canapé. Je ne comprends pas. Mon aspirateur me regarde de travers. 

Bon, je ne bouge plus, je ne fais rien. Je ne m'alimente pas. Je n'ose plus boire le thé, à peine respirer. La déliquescence me guette. Voilà mes cils tombés, mes mains. Mon corps nourrit les rats. Je vois la lumière. Je suis mort.

jeudi 15 janvier 2009

Âme et conscience

À chaque jour qui passe, la rupture se fait inéluctable. La susciter m'épargnerait bien des peines. La vie, ma bonne dame, prend de ces virages ! Alors on s'étiole, on ne se parle plus, peut-on seulement dire qu'on se voie, qu'on se connaisse encore ? Les raisons de s'accrocher s'amenuisent. D'inquiètes à cordiales, passionnées un jour, denses puis languissantes, diaphanes pour finir, nos présences se sont détricotées, nous sommes évanescents l'un à l'autre. Se rendre libre... Oh ! la liberté pour elle-même ne m'intéresse pas beaucoup, je ne suis pas du genre à végéter parmi tous les possibles. Se rendre libre pour quelque chose, pour quelqu'un. Au téléphone, j'ai annoncé la couleur : je souhaite le quitter. J'étais disponible pour en parler, mettre les compteurs à zéro. Oui, nous asseoir une dernière fois face à face. Nous avons fixé la date, samedi. Il a bien pleurniché un peu : tout de même c'est bien dommage, et comme on ne m'oubliera pas... Je suis pourtant déjà loin, j'habite à trois arrondissements d'ici. Parti depuis cinq ans, encore. Il faut bien se résoudre... Mais arriverai-je à m'éviter le solde des aigreurs ? Où était-il quand j'avais besoin de lui ? Son accès de veulerie me l'a fait voir sous un jour triste. L'année dernière, quel affront ! Des conditions inacceptables, un scandale ! Comme si j'étais l'homme de je ne sais quelles compromissions. Non, décidément, je ne veux plus remuer le souvenir des faux bonds, des écarts, des douleurs, et ajouter l'amertume au dépit. Je suis résolu : pas de sentiment. C'est déplacé avec les banquiers.

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Samedi. Je suis en avance. Je sors du métro à la station précédente pour continuer à pied sur le boulevard. Ainsi j'émerge à Bastille et d'emblée, une certaine qualité de l'atmosphère me saisit : on a barré le boulevard Beaumarchais, quelques personnes convergent vers la place, sourire aux lèvres, tracts en main. Je devine à peine au loin ce chuchotement caractéristique par-dessus les bruits de la ville. Ah ! chouette ! mon morne après-midi se verra chatouillé d'un brin d'action. Je remonte le boulevard à la rencontre du cortège.

Au premier abord on ne comprend pas grand-chose. Ces gens qui marchent, qui ne crient pas encore, qui discutent... de quoi s'agit-il au juste, cette fois ? Le flot s'intensifie et les premières banderoles apparaissent. Chez Beuscher, on a descendu les rideaux. Je change de trottoir tant que je peux traverser. Je me faufile entre des mères de famille, des couples âgés engoncés dans leurs manteaux, perclus de froid. Plus loin, des femmes lèvent à bout de bâton des poupons en celluloïd maculés de rouge sang. La première plate-forme approche. Je longe les murs, à contre-courant. Des pancartes convoquent la honte sur une nation belliqueuse, les slogans, plus mesurés, appellent à l'arrêt des massacres. Les bars ont fermé, j'attends quelques secondes sous une porte la faveur d'un répit dans la foule pour continuer mon chemin. Quelques jeunes, la capuche de leur survêtement rabattue sur les yeux, ramassent des cailloux dans un trou de l'asphalte ; ils se font aussitôt houspiller par les autres. Je progresse tant bien que mal en gardant mon cap. Je lutte un peu pour ne pas me laisser entraîner. Non que l'intensité de la marée humaine risque à ce point de m'emporter - mais après tout, moi non plus, je ne suis pas pour les tueries. Moi aussi, la mort des enfants m'émeut. Moi aussi, je veux la paix ! Pourquoi ne pas faire demi-tour ? Et dans l'excitation croissante de la foule qui n'en finit pas de venir à moi, à mesure que son murmure enfle en cacophonie, je sens monter l'envie de me joindre à la masse et de reprendre, avec tous ceux-là, mus par leur sens moral et politique, les slogans entonnés dans les mégaphones : "Nous sommes tous... des palestiniens !..."

C'est une bouffée de nostalgie qui m'atteint avec l'odeur typique de la manif. Il y a des années je les regardais passer sous mes fenêtres, ces fenêtres-là au premier étage, vous voyez ? J'y vivais. Les sans-logis, les sans-papiers, les féministes, les homosexuels, contre l'excision, contre les extrêmes, contre la guerre, contre les génocides, combien de fois pour la Palestine ? À l'époque, je me sentais en prise directe avec l'actualité. Je me trompais : comme si regarder les gens défiler, brandir leur poing ou leur conscience, accoudé à ma fenêtre, me rendait moins apathique que de les voir à la télé. Sur un écran les voilà qui s'agitent, vaguement ridicules, balayés par une page de pub ; de là où je me tenais, je percevais davantage les déterminations, la force du mouvement ; dans tous les cas, après leur passage, les services de nettoyage entraient en action et je fermais la fenêtre comme on éteint le poste. Il n'en restait rien mais chaque fois sur le coup, j'ai entrevu la possibilité de descendre, de crier avec eux. 

Bon, cela m'est arrivé. Pour quelle cause ? J'ai oublié.

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Mon petit banquier, prétendument sur ordre de la Préfecture de Police, en réalité ravagé par le chagrin, a fermé son agence.

Je pique dans une rue transverse et passe un mur de CRS pour attraper le métro sur Richard Lenoir. Je descends les escaliers et m'assois sur le quai à Bréguet-Sabin. À quelques pas de là, du genre heureux d'être ensemble, quelques marginaux se tiennent chaud. L'un d'eux s'approche. Basané, les cheveux bouclés, il arbore en guise de chapeau une sorte de toque en carton et sourit comme un ange. D'abord il balbutie plus qu'il ne parle, courbé au-dessus de moi :

"Monsieur, pardonnez-moi... excusez-moi de vous déranger, mais voilà, serait-il, comment dire ? possible..."
Je ne lui laisse pas le temps de continuer. À cette minute je suis heureux, depuis qu'un souffle m'a fouetté le visage, en haut, sur le boulevard. Je me lève pour extirper mon portefeuille de la poche d'un jean un peu étroit.
"Oui, bien sûr. En revanche, donnez-moi deux secondes. Comme je viens du froid j'ai les doigts gourds."
Il me dévisage, interloqué. Son sourire s'élargit encore. Il agite les bras comme en révérence.
"Vous avez les doigts gourds ? Vous avez les doigts gourds ? GOURDS ? Hé ! mais plus personne ne s'exprime comme ça ! Les doigts gourds... Ça fait plaisir, monsieur. Vous savez, moi qui suis à moitié suisse, à moitié algérien, je suis un amoureux de la langue française. Vraiment. Brassens par exemple, j'adore Brassens. Pour moi, c'est... Comment dire ? quelque chose du passé, une langue du passé. Je ne veux pas dire du vieux franssoué mais...
- Non, je vois : c'est un niveau de langage que peu de gens se soucient de maintenir.
- Voilà, précisément. Les doigts gourds..."
Il prend ma pièce, s'incline et s'éloigne, me faisant encore des courbettes à 5 mètres. 
"Merci Monseigneur, excusez-moi, pardon, les doigts gourds..."

Il s'en retourne vers ses camarades. Il accueille un nouveau venu, il gesticule toujours avec enthousiasme et lui claque deux lourdes bises. Mon banquier a gagné quelques semaines de répit (j'ai appris plus tard qu'il avait tenté de me prévenir). Pour l'heure cela ne présente guère d'importance, le temps des ruptures a passé. Le métro entre en station. La minute suivante, je suis encore heureux.

mercredi 14 janvier 2009

L'antienne

Joyeux anniversaire, dear !

lundi 12 janvier 2009

"Mémoires du célèbre nain Joseph Boruwlaski, gentilhomme polonais"

On ne me voit jamais pour ce que je suis. Je m'en étonne tous les jours. Cette constatation finira par m'irriter, c'est à n'y rien comprendre. Je me plante devant la glace : visez-moi pourtant cette tête étriquée, si sottement emboîtée dans l'échancrure des épaules ; ces yeux minuscules, innombrables et atrophiés ; ces mandibules sous le labre... Mais oui ! tous ces attributs sont bien d'un cloporte. Comment me laisse-t-on librement divaguer dans les rues ? Qu'on éloigne les enfants ! Hier encore le fromager me fixait sans ciller. Je prends le métro, je travaille. C'est que le monde est devenu bien poli, Monsieur.

L'était-il moins au XVIIIème siècle, quand le chevalier de Jaucourt ne trouva mention que de deux exemples vivants pour illustrer l'entrée "Nain" de l'Encyclopédie ? Et Boruwlaski était de ces deux-là : a star was born. Placé très jeune sous la protection d'une comtesse polonaise, exhibé dans toutes les cours d'Europe, bientôt chouchou des impératrices et des rois dont il s'attire les grâces par un sens aigu de la flatterie, le petit Joseph sait user d'une bonne éducation. Il parle français (il rédigera ses Mémoires dans cette langue), danse, "pince la guitare". C'est bien simple : on se l'arrache, lui qu'anime une sensibilité en totale disproportion par rapport à sa taille, lui qu'une compréhension poignante de sa condition pousse à plaire comme il sied aux nantis. 

Hélas, l'amour lui fait perdre ses protections. Pour assumer ses responsabilités de père de famille, il ne lui reste qu'à exploiter le filon de son nanisme ; dans la seconde partie des Mémoires, notre gentilhomme paraît plus soucieux de citer les appuis que la noblesse lui apporte, de faire l'inventaire des cadeaux qu'il en reçoit, de louer et de remercier, plutôt que de dresser le compte réel de sa situation. Il n'oublie pas d'où dépend sa subsistance ni comment l'appeler, par un art bien dosé d'émouvoir tout en suggérant, ne serait-ce que par son attachement à se dire gentilhomme, qu'il n'est pas étranger à ces élites. On aurait trouvé moins finot que ce bougre ! Il nous fait même, pour la relation des démêlés de ses amours avec la fringante Isaline, le coup du roman épistolaire : astucieux ! follement à la mode, aussi. Et comme il se décrit bien en héros pré-romantique... 

Son récit vaut alors davantage pour ce qu'il occulte. Joseph Boruwlaski n'ajoute pas à la complaisance et n'évoque qu'en passant le fait de s'être montré pour de l'argent ; la notice en fin de volume nous en apprend davantage sur les modalités qui permettaient à tout payeur de l'approcher dans son appartement londonien à certaines heures de la journée, voire à la faveur d'une visite de commande dont le tarif était fixé par convive. Il s'attache trop à montrer combien sa sensibilité le fait homme pour souligner ce qui, aux yeux d'autrui, l'éloignerait de cette condition ; la douleur qu'il conçoit de se la voir refusée n'est évoquée qu'en d'assez rares endroits du livre. De plus, si Flammarion propose le texte de l'édition de 1788, il semble que les suivantes, celle de 1820 en particulier, relatent les péripéties hautes en couleur de notre petit bonhomme à travers la Turquie ou la Laponie - tous voyages qu'il n'a jamais effectués mais dont le récit ajoutait du relief à une existence que la seule particularité d'être d'un nain ne suffisait plus à rendre lucrative. Isaline même a disparu de ces éditions : est-elle retournée en Pologne ? Où s'est-elle enfuie ? Comment l'aurait-elle aimé ?

Joseph Boruwlaski mourut le 5 septembre 1837 à Durham, en Angleterre, à l'âge de quatre-ving-dix-huit ans. Ce n'est pas rien. Qui pourrait supporter d'être heureux si longtemps ? Et combien de nains auront connu destinée finalement si enviable ? Et aussi : combien de temps vivent les oniscides ? Tombent-ils amoureux ? Vers qui s'élèvent leurs cris de douleur ? Se souviendraient-ils seulement du moindre événement de leur vie pour le rapporter dans des Mémoires ? Bah ! Oublions tout cela...

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"C'est dans cet état de tranquillité que je passais une vie dont rien ne me paraissait devoir troubler le bonheur. J'étais bien éloigné de pressentir alors que ce sentiment délicat et tendre sur lequel je fondais l'espérance de ma félicité future dût me causer un jour des inquiétudes et des chagrins qui influeraient aussi impérieusement qu'ils l'ont fait sur le reste de mon existence."

lundi 5 janvier 2009

La petite maladie

L'année aurait pu mieux commencer. Le poivrier s'étiole, le pot du ficus est mangé de champignons bizarres. J'ai trouvé à mon retour un cactus dégonflé comme une baudruche. Vite, l'imiter ! Avec un mot du docteur, je reste chez moi à regarder par la fenêtre tomber la neige. Me voilà comme les grenouilles dans ces bocaux, sans la distraction de congénères avec qui batifoler. Dans l'appartement voisin, occupé par une vieille dame dure de la feuille, le téléviseur tonitrue depuis la première heure. Seigneur ! La musique de la pub Herta suffirait à me déclencher des nausées.

Mon goût se trouve si dénaturé par les médicaments ou par la maladie que la perspective de boire un thé me répugne. L'eau me paraît déjà trop lourde. Allez, je ne me sens pourtant pas si mal - juste amer et lent. 

Certains charlatans proposent aux désespérés de réfléchir au sens de leur maladie... Comme si elles pouvaient en avoir davantage que la vie même. J'avoue ne pas avoir lu la totalité de l'article en lien, c'est encore au-dessus de mes forces. Cependant je confesse un faible pour les phrases du genre : "Les animaux utilisent leur vessie pour marquer leur territoire sexué et nos cystites traduisent bien une difficulté à se positionner vis-à-vis d'un partenaire. Les mâles dominants qui ne peuvent garder le contrôle de leur territoire femelle meurent d'un infarctus. Nous humains faisons des infarctus quand notre territoire est envahi et que nous en sommes chassés.

N'est-ce pas délicieux ? Victoire de la pensée ! Lumière de l'argumentation ! Comme tout s'éclaire par le symbole ! Saluons la limpidité, la pertinence des rapprochements. Les faits ne sauraient contredire de si belles images ; alors comment n'avions-nous pas plus tôt réalisé comme les cocus sont cardiaques ? Dans la seconde, que les trois quarts de la population mariée de ce pays succombent à une ischémie myocardique : paf !

Plus qu'aucun autre, le mot bien ("nos cystites traduisent bien...") fait mes délices. Ah ! j'aurais aimé l'inventer, ce bien-là. Grâce à lui, l'aberration devient truisme. Otez-le dans la phrase : rien à faire, ça ne va pas, les deux propositions ne se coordonnent pas. C'est ce bien qui, en renforçant l'analogie, donne sens à l'ensemble. Magique. Mars entre en Sagittaire et la bronchite est bien signe d'un rejet affectif. La durée de gestation du requin lézard peut aller jusqu'à deux ans et c'est bien à cet âge que mon neveu a contracté la polyo. Net et sans bavure. On en pleurerait.

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Avant de laisser monter les larmes, je me ressaisis et retourne à la fenêtre. Ah ! la la, tout de même, c'est bien joli la neige.

jeudi 1 janvier 2009

Le puits




La nuit est tombée sur la terre. La Galette a disparu.
Farewell !

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Tenebrae factae sunt
M.-A. Charpentier

La Possibilité du Nil

Où qu'on soit, l'envie d'ailleurs.

Fini 2008. Zou : embarquons pour de nouvelles aventures.

Nil de jour,

le soir,

la nuit (Philaé).

Tous les bateaux, tous les oiseaux d'Assouan.

Abou Simbel ? Eh ! oui, c'est beau.

Que joie et beauté nous étreignent en 2009.