Je me fais donc une joie d'explorer de temps à autre les magasins bio du quartier. Il existe pourtant une engeance qui m'en détournerait presque. Chaque fois que je mets le pied dans ces boutiques, je tombe sur l'une de ses représentantes. Cette catégorie de personnes, c'est la conne en cheveux.
Je ne veux pas dire que toutes les femmes en cheveux sont des connes, loin de moi cette idée. D'ailleurs, selon le Petit Robert, cette expression désuète signifie simplement "nue-tête" : la majorité des femmes sont en cheveux de nos jours, et qui oserait insinuer que la majorité des femmes sont des connes ? Ouh la la, certainement pas moi ! En revanche, dans mon esprit, "en cheveux" suppose un aspect négligé très caractéristique du cheveu de la conne en cheveux. Inversement, on doit pouvoir trouver des connes aux cheveux admirablement lissés et soignés, mais celles-ci semblent préférer Monoprix. Non : je veux simplement dire que le cheveu est la seule marque tangible permettant de soupçonner à vue qu'on a affaire à la conne en cheveux.
Enfin, il doit exister sur terre des cons en cheveux. Je les devine cachant leur calvitie galopante sous une casquette de base-ball, avec une queue de cheval pour faire illusion - mais les clients des supérettes bio sont souvent des clientes et l'honnêteté m'oblige à reconnaître que je n'en ai jamais rencontré, ni chez Naturalia, ni chez Biocoop.
Filasse, ébouriffé, hésitant entre bouclette et simple ondulation, lâché en hiver, remonté en un malheureux chignon débordant l'été, le cheveu de la conne en cheveux est tout un poème. Mais pour identifier fermement la conne en cheveux, on ne peut se fonder sur aucun autre détail de son apparence ; j'en ai croisées de grandes et de petites, de tous âges, j'en ai vues des blondes, des brunes, vêtues d'un tailleur strict ou perdues dans une ample tunique hippie, anodines ou magnifiques, toujours en cheveux. Naturellement, la conne en cheveux hante les épiceries bio ; elle fait attention à son alimentation, mange des graines et des légumes verts (avec plus d'assiduité que moi), par conséquent on n'en croise jamais d'obèses. En dehors de ces indices, aucun signe distinctif.
J'aime me reculer pour embrasser tout un rayon du regard. La conne en cheveux s'interpose, ne s'excuse jamais et me bloque l'accès au produit que je venais de repérer pendant une minute minimum. Ses paupières papillonnent. Si elle est myope, elle semble refuser toute forme de correction. D'ailleurs, si elle pousse un chariot, il roulera sur mes chaussures ; si elle porte un panier, il heurtera mes mollets.
La conne en cheveux apprécie beaucoup de jouer avec la balance des fruits et légumes. Quand elle ne se souvient plus du numéro sur lequel appuyer (54 pour les poires, 28 pour les tomates), elle passe en revue chaque touche en espérant reconnaître le dessin correspondant à la denrée qu'elle convoite. Mais elle confond le kiwi et l'oignon, repart en rayon relever le numéro - ce faisant laisse tout en vrac sur le plateau... quand elle n'oublie pas tout bonnement de peser, ce dont elle se rend compte à la caisse, surtout les jours d'affluence afin d'optimiser le nombre de personnes à faire patienter.
La conne en cheveux aime essayer les échantillons gratuits disposés près de l'entrée. Quand on lui fait remarquer que ces échantillons sont limités à un par personne afin d'éviter les abus, elle prend la mouche, peste, devient teigne ("Je ne vous agresse pas, madame, j'explique !") et prend à témoin tout le magasin, qui la hait depuis déjà un bon bout de temps.
Lorsqu'elle ne trouve pas un produit, au lieu de demander à l'employée qui évolue dans les rayons, elle préfère faire la queue, arriver en caisse, faire passer deux ou trois achats pour bloquer ladite caisse, poser la question à la caissière qui lui indique aimablement où trouver ce qu'elle cherche, et disparaît dans le magasin pour un temps indéterminé, laissant la personne suivante (moi, en général) déconfite et fébrile.
Un jour, G. et moi sommes tombés sur le plus beau spécimen qu'on puisse imaginer. Devant le rayonnage des oeufs, je lance à G. : "Tiens, des oeufs ; est-ce qu'il nous faut des oeufs ?" Et la conne en cheveux, qui se trouvait à deux pas et ne me connaissait ni d'Eve ni d'Adam, de me répondre, me fixant droit dans les yeux, l'air grave et pénétré : "Mais je ne veux pas d'oeufs, je veux des biscottes..."
Car la conne en cheveux est le nombril du monde. C'est d'ailleurs l'unique raison pour laquelle, ce monde, sous des prétextes écologistes, elle espère le préserver.
5 commentaires:
merci de m'avoir fait rire , la bouche plein de dentifrice ( oui je m lave les dents , ça m'arrive :-D ), mais je ne sais toujours pas ou se trouve les biscottes !!!!
Depuis le temps, franchement... Entre les biscuits cartonnés sans huile de palme et le muesli à l'argile ! C'est pas bien compliqué, si ?
Un pur moment de bonheur qui me fait regretter de ne pas avoir lu hier soir, même tard. A Lyon aussi, cette engeance pullule. Un jour prochain, il faudra que je raconte deux ou trois anecdotes. Merci pour le grand éclat de rire.
( Nous sommes décidément poursuivis par l'aspect "filasse".)
Calyste, ta description de la "minette", dans l'article de lundi, m'a fait sourire aussi : j'avais celui de la "conne" en tête et les deux se répondent (j'entends les deux articles, parce que je pense que la "conne" est à peu près incompatible de tout et ne daignerait pas adresser la parole à ces jeunes filles formatées).
Setzen, sechs!
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