lundi 28 janvier 2008

"No Country for old men" - Joel & Ethan Coen

Mélange de thriller et de western, le dernier film des frères Coen, adapté de Cormac McCarthy, m'a secoué. Tous les mythes de l'Amérique sont convoqués pour un grand festin macabre, diablement efficace. D'abord les paysages, les espaces désertiques à perte de vue du Texas et du Nouveau Mexique sur lesquels la mort n'en finit pas de rôder. Les personnages archétypaux sont aussi de la partie : le vieux shérif fatigué, le tueur psychopathe qui manifeste un sens très particulier de l'honneur, le brave type qui met le doigt dans l'engrenage, l'épouse aimante, la confidente... Tous ces ingrédients sont au service d'une idée maîtresse, qui soutient un bon pan de la littérature et du cinéma, profondément pessimiste et romanesque : la pérennité du mal.

S. a quitté la salle en colère, nauséeux, écoeuré par une telle complaisance dans la noirceur. J'en suis sorti planant, les pupilles dilatées, comme après un shoot de cinéma pur piqué directement dans l'oeil.

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La veille, j'étouffais tout en haut de l'amphithéâtre de l'Opéra Comique. La tiédeur d'un Cadmus et Hermione plan-plan ne suffisait pas à me rafraîchir. Je n'éreinte pas le spectacle, on y rit parfois et l'ensemble est agréable à regarder, notamment grâce aux costumes. Je veux bien oublier les voix un peu limites et la direction mollassonne. La scénographie, réalisée avec des techniques d'époque, fonctionne admirablement. Les bougies du proscenium, bien que doublées par un éclairage électrique "traditionnel", contribuent à l'atmosphère. Mais je peine à saisir l'intérêt du parti-pris.

À vouloir retrouver la prononciation du français du XVIIème siècle, on entrave la spontanéité. Là où la musique a conservé une modernité - en fait une éternité - dans son pouvoir émotionnel, cette diction d'un autre âge (Laissésse-moué ma douleur, j'y trouve des appasses...) détourne de l'histoire, de ses personnages héroïques ou drolatiques et des rebondissements de l'intrigue. Prononcer les consonnes finales rend le français sifflant et désagréable. J'avais l'impression qu'en singeant ma langue, on m'interdisait l'accès au premier degré d'un spectacle qui, sans cela, m'aurait ravi. Le combat pour l'authenticité à tout prix était par ailleurs perdu d'avance, puisque même sur instruments d'époque, la musique est toujours jouée ici et maintenant...

Cette production est le revers du film des frères Coen. Ici, on reproduit (un spectacle baroque français) avec un sens étriqué de l'authenticité. Là, on revisite (les mythes et l'histoire du cinéma américain) pour (les) porter au plus haut degré d'incandescence.

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On peut toujours tout ramener au thé, de manière artificielle et plus ou moins tirée par les cheveux. Ce débat entre authenticité figée ou transcendée me rappelle un récent commentaire de Flo, qui se demandait "si les chinois se prennent autant la tête que nous" à propos de leurs thés.
Le gong fu cha vise à exprimer le meilleur d'un thé et s'inscrit dans une tradition du geste. Quand je bois le thé, qu'est-ce que je fais de cette histoire qui n'est pas la mienne ? Faut-il chercher à se l'approprier ? Qu'est-ce que nous sommes en train d'inventer, qu'est-ce que nous subissons ? Les chinois ont une cinquième saveur non classifiée par les occidentaux ; qu'est-ce que je bois en buvant leurs thés ? Et aussi : y aurait-il un intérêt à vouloir retrouver le thé exactement tel que dégusté par Lu Yu ? Plus modestement, je doute qu'une théière vieille de deux cents ans donne la moindre idée du thé qu'on buvait en 1800. Et aussi : quelle est la part d'exotisme dans les dégustations ?

Autant de questions que je ne me pose JAMAIS. 

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J'ignore qui sont les frères Coen du thé. J'imagine qu'on trouve à Taïwan et en Chine continentale des producteurs qui s'attachent à réinventer, avec autant d'audace que de savoir-faire, à chaque récolte, ce qu'est un bon thé.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Chez Terre de Chine en fin de semaine dernière, Mme Wang était avec une amie, chinoise et diplômée dans l'art de faire le thé -qui faisait le thé. Nous avons bu ensemble. Deux thés, un a li shan puis un Tie guan Yin, préparés différemment (théière et zhong) et avec des gestes très précis, un contact attentif et de tout moment avec les thés, les outils, l'eau. Nous avons discuté. L'amie de Mme Wang a dit : "le thé, c'est toujours simple".

Un ami viticulteur dans le bordelais m'avait dit un jour : "le vin, c'est le sang de la terre."

les deux phrases, à des années de distance, me paraissent recéler une vérité de même nature.

Anonyme a dit…

quelle chance tu as flo de pouvoir partager un thé avec Mme Lin Wang...j'adorais venir lui rendre visite quand nous habitions à Paris...quelle gentillesse et simplicité effectivement dans sa façon d'aborder le thé...un grand bol de fraîcheur...

Patrick a dit…

Deux belles phrases, Flo. De celles qu'il vaut mieux ne pas étouffer sous trop de glose !