samedi 26 janvier 2008

My beautiful laundrette

J'aime la laverie. Je ne veux pas, pour le moment, de machine chez moi. D'abord, je n'ai à m'occuper que de mon propre linge, ce qui m'autorise à y aller au rythme raisonnable d'une fois toutes les deux semaines. Ensuite, cela me dispense d'avoir ma salle de bains encombrée de linge étendu. Enfin, c'est l'un des rares endroits où j'ai l'impression de partager quelques instants de l'intimité de gens que je n'aurais l'occasion de rencontrer nulle part ailleurs. Je n'ai pas encore résolu la question de savoir s'il s'agit de curiosité malsaine ou de profond attachement pour mes contemporains. Sans en être certain, je penche pour la première option.

Aujourd'hui, une vieille fouineuse et deux étudiants japonais ont discuté en attendant un dépanneur, près de la centrale qui ne rendait plus la monnaie.

L'autre jour, je lisais assis entre les machines un papier des Inrocks sur Devendra Banhart, en écoutant Les Sept dernières paroles du Christ en croix sur mon iPod. Me voyant lire ce magazine, un homme m'a abordé. Il égrenait les noms d'obscurs groupes de rock français du début des années 90, je n'en connaissais aucun et ai rapidement mis fin à la conversation. Il portait un survêtement gris sans âge et s'exprimait avec peine, la bouche empâtée, comme sous l'emprise de drogues que je n'identifiais pas, illicites ou médicales. Je lui donnai la quarantaine.

Plus tard, il me demanda de l'aider à plier son linge sorti du séchoir. La dame assise à côté de moi avait refusé ; j'ai accepté, touché par son embarras. Nous avons d'abord plié un drap blanc. Puis il sortit un torchon de la machine. Il me l'a montré : c'était une sorte de trombinoscope que son fils et ses camarades avaient fabriqué des années plus tôt en maternelle. Les élèves de l'école s'étaient dessinés, et tous les dessins furent imprimés sur du coton, comme des vignettes accompagnées du nom de chaque enfant. Il mit trois bonnes minutes à retrouver l'autoportrait de son fils Léo. Il riait, et disait, avec cette articulation toujours difficile, que son fils, qu'il ne voyait plus que rarement, n'avait pas beaucoup de talent artistique. Je plaisantai aussi en répliquant que cela se voyait ! Pendant que nous repliions une housse de couette, je vis qu'il était en train de se pisser dessus. Un drap, une housse de couette et un torchon : il avait probablement souillé sa literie et se souillait maintenant debout.

Je n'ai rien dit. Il m'a serré la main en quittant la laverie, tout sourire à mon égard. La dame qui avait refusé de l'aider souriait aussi. Elle n'avait rien remarqué. Elle me lança : "Elle sera bien chanceuse, la femme qui aura le plaisir de vous rencontrer". Puis elle se leva et pataugea dans la flaque, devant les séchoirs. Qu'est-ce que j'aurais pu faire ? Je n'aurais pas supporté d'entendre cette dame exprimer une once de mépris pour cet homme, qui ramera probablement toute sa vie pour retrouver une dignité perdue.

Cet homme, je ne peux pas dire que je le connaisse ; pourtant il me semble bien l'avoir rencontré. Récemment, l'auteur de l'un de mes blogs préférés m'écrivait que, de passage à Paris dans quelques semaines, il retrouverait probablement à la Maison des Trois Thés d'autres blogueurs et que je serais le bienvenu si je souhaitais me joindre à eux. Cela m'a donné à réfléchir, car mis à part avec S., qui me réclame régulièrement une tasse (aujourd'hui un Milan Xiang), je bois seul en général. Et si la laverie m'offre quelques instants d'humanité, j'ai soudain réalisé que le thé ne m'avait jamais fait rencontrer personne.

Inversement, il paraît très difficile pour les gens de ma connaissance de me rejoindre dans cet intérêt pour le thé. Le gong fu cha, souvent, ennuie. Loin de l'image de convivialité de cette boisson, pour ma part, les meilleurs thés dont j'ai le souvenir sont des thés que j'ai bus seul et ceux que je fais pour les autres ne me paraissent jamais si réussis.

1 commentaire:

Calyste a dit…

La curiosité, pour moi, est déjà une forme d'attachement. Pourquoi serait-elle malsaine? Depuis la mort de mon ami, je me force à parler aux gens de la rue, des commerces, j'ai de moins en moins peur de les importuner, de leur imposer ma présence, comme je le craignais sans cesse auparavant. Il faut parler avant qu'il ne soit trop tard. Et j'en retire souvent de grandes joies, entre autres celle de connaître l'autre, un autre à cent lieues de moi et qui pourtant me ressemble, finalement, ou m'enrichit. Ta rencontre avec ce pauvre homme, tu n'es sans doute pas prêt de l'oublier. Ou alors, bien du thé aura coulé...