jeudi 31 janvier 2008

Eclore


"Mon âme aux oeuvres délaissées,
Mon âme pâle de sanglots
Regarde en vain ses mains lassées
Trembler à fleur de l'inéclos."
Oraison - Serres chaudes.
M. Maeterlinck

(Où l'on apprend en particulier que l'âme de Maeterlinck avait des mains. Je doute que la mienne en ait, même de "frêles mains de cire" ainsi qu'il est indiqué plus loin dans ce poème. À vrai dire, ai-je seulement une âme ? Des mains, ça, oui.)

mercredi 30 janvier 2008

mardi 29 janvier 2008

La Conne en cheveux

Il m'arrive de manger bio. Je n'en fais pas un métier : je mange bio quand j'ai le choix, jamais au déjeuner, en général lorsque je dîne seul chez moi, c'est-à-dire rarement plus de deux fois par semaine. Quel intérêt ? Aucun - sinon de permettre à mes amis de se moquer gentiment de moi et de varier un peu mon alimentation. Car certains produits des supérettes bio ne se trouvent pas ailleurs. J'ai une inclination pour le tartare d'algues, le tofu fumé, les graines de brocolis ou d'alfalfa germées et la purée d'amandes complètes. Surtout la purée d'amandes complètes : c'est riche, mais Dieu que c'est bon... 

Je me fais donc une joie d'explorer de temps à autre les magasins bio du quartier. Il existe pourtant une engeance qui m'en détournerait presque. Chaque fois que je mets le pied dans ces boutiques, je tombe sur l'une de ses représentantes. Cette catégorie de personnes, c'est la conne en cheveux.

Je ne veux pas dire que toutes les femmes en cheveux sont des connes, loin de moi cette idée. D'ailleurs, selon le Petit Robert, cette expression désuète signifie simplement "nue-tête" : la majorité des femmes sont en cheveux de nos jours, et qui oserait insinuer que la majorité des femmes sont des connes ? Ouh la la, certainement pas moi ! En revanche, dans mon esprit, "en cheveux" suppose un aspect négligé très caractéristique du cheveu de la conne en cheveux. Inversement, on doit pouvoir trouver des connes aux cheveux admirablement lissés et soignés, mais celles-ci semblent préférer Monoprix. Non : je veux simplement dire que le cheveu est la seule marque tangible permettant de soupçonner à vue qu'on a affaire à la conne en cheveux

Enfin, il doit exister sur terre des cons en cheveux. Je les devine cachant leur calvitie galopante sous une casquette de base-ball, avec une queue de cheval pour faire illusion - mais les clients des supérettes bio sont souvent des clientes et l'honnêteté m'oblige à reconnaître que je n'en ai jamais rencontré, ni chez Naturalia, ni chez Biocoop.

Filasse, ébouriffé, hésitant entre bouclette et simple ondulation, lâché en hiver, remonté en un malheureux chignon débordant l'été, le cheveu de la conne en cheveux est tout un poème. Mais pour identifier fermement la conne en cheveux, on ne peut se fonder sur aucun autre détail de son apparence ; j'en ai croisées de grandes et de petites, de tous âges, j'en ai vues des blondes, des brunes, vêtues d'un tailleur strict ou perdues dans une ample tunique hippie, anodines ou magnifiques, toujours en cheveux. Naturellement, la conne en cheveux hante les épiceries bio ; elle fait attention à son alimentation, mange des graines et des légumes verts (avec plus d'assiduité que moi), par conséquent on n'en croise jamais d'obèses. En dehors de ces indices, aucun signe distinctif.

J'aime me reculer pour embrasser tout un rayon du regard. La conne en cheveux s'interpose, ne s'excuse jamais et me bloque l'accès au produit que je venais de repérer pendant une minute minimum. Ses paupières papillonnent. Si elle est myope, elle semble refuser toute forme de correction. D'ailleurs, si elle pousse un chariot, il roulera sur mes chaussures ; si elle porte un panier, il heurtera mes mollets.

La conne en cheveux apprécie beaucoup de jouer avec la balance des fruits et légumes. Quand elle ne se souvient plus du numéro sur lequel appuyer (54 pour les poires, 28 pour les tomates), elle passe en revue chaque touche en espérant reconnaître le dessin correspondant à la denrée qu'elle convoite. Mais elle confond le kiwi et l'oignon, repart en rayon relever le numéro - ce faisant laisse tout en vrac sur le plateau... quand elle n'oublie pas tout bonnement de peser, ce dont elle se rend compte à la caisse, surtout les jours d'affluence afin d'optimiser le nombre de personnes à faire patienter.

La conne en cheveux aime essayer les échantillons gratuits disposés près de l'entrée. Quand on lui fait remarquer que ces échantillons sont limités à un par personne afin d'éviter les abus, elle prend la mouche, peste, devient teigne ("Je ne vous agresse pas, madame, j'explique !") et prend à témoin tout le magasin, qui la hait depuis déjà un bon bout de temps.

Lorsqu'elle ne trouve pas un produit, au lieu de demander à l'employée qui évolue dans les rayons, elle préfère faire la queue, arriver en caisse, faire passer deux ou trois achats pour bloquer ladite caisse, poser la question à la caissière qui lui indique aimablement où trouver ce qu'elle cherche, et disparaît dans le magasin pour un temps indéterminé, laissant la personne suivante (moi, en général) déconfite et fébrile.

Un jour, G. et moi sommes tombés sur le plus beau spécimen qu'on puisse imaginer. Devant le rayonnage des oeufs, je lance à G. : "Tiens, des oeufs ; est-ce qu'il nous faut des oeufs ?" Et la conne en cheveux, qui se trouvait à deux pas et ne me connaissait ni d'Eve ni d'Adam, de me répondre, me fixant droit dans les yeux, l'air grave et pénétré : "Mais je ne veux pas d'oeufs, je veux des biscottes..." 

Car la conne en cheveux est le nombril du monde. C'est d'ailleurs l'unique raison pour laquelle, ce monde, sous des prétextes écologistes, elle espère le préserver.

Appel urgent

Ma copine Ch., jeune femme sérieuse, la trentaine, bien sous tous rapports, recherche en urgence une chambre à louer près du centre de Nice où elle travaille une semaine sur deux (tribunal administratif), en colocation, pas trop chère, environ 300 euros. Paiement cash et ponctuel.
Me contacter si vous avez vent d'un plan quelconque.
Merci !

lundi 28 janvier 2008

"No Country for old men" - Joel & Ethan Coen

Mélange de thriller et de western, le dernier film des frères Coen, adapté de Cormac McCarthy, m'a secoué. Tous les mythes de l'Amérique sont convoqués pour un grand festin macabre, diablement efficace. D'abord les paysages, les espaces désertiques à perte de vue du Texas et du Nouveau Mexique sur lesquels la mort n'en finit pas de rôder. Les personnages archétypaux sont aussi de la partie : le vieux shérif fatigué, le tueur psychopathe qui manifeste un sens très particulier de l'honneur, le brave type qui met le doigt dans l'engrenage, l'épouse aimante, la confidente... Tous ces ingrédients sont au service d'une idée maîtresse, qui soutient un bon pan de la littérature et du cinéma, profondément pessimiste et romanesque : la pérennité du mal.

S. a quitté la salle en colère, nauséeux, écoeuré par une telle complaisance dans la noirceur. J'en suis sorti planant, les pupilles dilatées, comme après un shoot de cinéma pur piqué directement dans l'oeil.

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La veille, j'étouffais tout en haut de l'amphithéâtre de l'Opéra Comique. La tiédeur d'un Cadmus et Hermione plan-plan ne suffisait pas à me rafraîchir. Je n'éreinte pas le spectacle, on y rit parfois et l'ensemble est agréable à regarder, notamment grâce aux costumes. Je veux bien oublier les voix un peu limites et la direction mollassonne. La scénographie, réalisée avec des techniques d'époque, fonctionne admirablement. Les bougies du proscenium, bien que doublées par un éclairage électrique "traditionnel", contribuent à l'atmosphère. Mais je peine à saisir l'intérêt du parti-pris.

À vouloir retrouver la prononciation du français du XVIIème siècle, on entrave la spontanéité. Là où la musique a conservé une modernité - en fait une éternité - dans son pouvoir émotionnel, cette diction d'un autre âge (Laissésse-moué ma douleur, j'y trouve des appasses...) détourne de l'histoire, de ses personnages héroïques ou drolatiques et des rebondissements de l'intrigue. Prononcer les consonnes finales rend le français sifflant et désagréable. J'avais l'impression qu'en singeant ma langue, on m'interdisait l'accès au premier degré d'un spectacle qui, sans cela, m'aurait ravi. Le combat pour l'authenticité à tout prix était par ailleurs perdu d'avance, puisque même sur instruments d'époque, la musique est toujours jouée ici et maintenant...

Cette production est le revers du film des frères Coen. Ici, on reproduit (un spectacle baroque français) avec un sens étriqué de l'authenticité. Là, on revisite (les mythes et l'histoire du cinéma américain) pour (les) porter au plus haut degré d'incandescence.

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On peut toujours tout ramener au thé, de manière artificielle et plus ou moins tirée par les cheveux. Ce débat entre authenticité figée ou transcendée me rappelle un récent commentaire de Flo, qui se demandait "si les chinois se prennent autant la tête que nous" à propos de leurs thés.
Le gong fu cha vise à exprimer le meilleur d'un thé et s'inscrit dans une tradition du geste. Quand je bois le thé, qu'est-ce que je fais de cette histoire qui n'est pas la mienne ? Faut-il chercher à se l'approprier ? Qu'est-ce que nous sommes en train d'inventer, qu'est-ce que nous subissons ? Les chinois ont une cinquième saveur non classifiée par les occidentaux ; qu'est-ce que je bois en buvant leurs thés ? Et aussi : y aurait-il un intérêt à vouloir retrouver le thé exactement tel que dégusté par Lu Yu ? Plus modestement, je doute qu'une théière vieille de deux cents ans donne la moindre idée du thé qu'on buvait en 1800. Et aussi : quelle est la part d'exotisme dans les dégustations ?

Autant de questions que je ne me pose JAMAIS. 

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J'ignore qui sont les frères Coen du thé. J'imagine qu'on trouve à Taïwan et en Chine continentale des producteurs qui s'attachent à réinventer, avec autant d'audace que de savoir-faire, à chaque récolte, ce qu'est un bon thé.

Image pour A.


samedi 26 janvier 2008

My beautiful laundrette

J'aime la laverie. Je ne veux pas, pour le moment, de machine chez moi. D'abord, je n'ai à m'occuper que de mon propre linge, ce qui m'autorise à y aller au rythme raisonnable d'une fois toutes les deux semaines. Ensuite, cela me dispense d'avoir ma salle de bains encombrée de linge étendu. Enfin, c'est l'un des rares endroits où j'ai l'impression de partager quelques instants de l'intimité de gens que je n'aurais l'occasion de rencontrer nulle part ailleurs. Je n'ai pas encore résolu la question de savoir s'il s'agit de curiosité malsaine ou de profond attachement pour mes contemporains. Sans en être certain, je penche pour la première option.

Aujourd'hui, une vieille fouineuse et deux étudiants japonais ont discuté en attendant un dépanneur, près de la centrale qui ne rendait plus la monnaie.

L'autre jour, je lisais assis entre les machines un papier des Inrocks sur Devendra Banhart, en écoutant Les Sept dernières paroles du Christ en croix sur mon iPod. Me voyant lire ce magazine, un homme m'a abordé. Il égrenait les noms d'obscurs groupes de rock français du début des années 90, je n'en connaissais aucun et ai rapidement mis fin à la conversation. Il portait un survêtement gris sans âge et s'exprimait avec peine, la bouche empâtée, comme sous l'emprise de drogues que je n'identifiais pas, illicites ou médicales. Je lui donnai la quarantaine.

Plus tard, il me demanda de l'aider à plier son linge sorti du séchoir. La dame assise à côté de moi avait refusé ; j'ai accepté, touché par son embarras. Nous avons d'abord plié un drap blanc. Puis il sortit un torchon de la machine. Il me l'a montré : c'était une sorte de trombinoscope que son fils et ses camarades avaient fabriqué des années plus tôt en maternelle. Les élèves de l'école s'étaient dessinés, et tous les dessins furent imprimés sur du coton, comme des vignettes accompagnées du nom de chaque enfant. Il mit trois bonnes minutes à retrouver l'autoportrait de son fils Léo. Il riait, et disait, avec cette articulation toujours difficile, que son fils, qu'il ne voyait plus que rarement, n'avait pas beaucoup de talent artistique. Je plaisantai aussi en répliquant que cela se voyait ! Pendant que nous repliions une housse de couette, je vis qu'il était en train de se pisser dessus. Un drap, une housse de couette et un torchon : il avait probablement souillé sa literie et se souillait maintenant debout.

Je n'ai rien dit. Il m'a serré la main en quittant la laverie, tout sourire à mon égard. La dame qui avait refusé de l'aider souriait aussi. Elle n'avait rien remarqué. Elle me lança : "Elle sera bien chanceuse, la femme qui aura le plaisir de vous rencontrer". Puis elle se leva et pataugea dans la flaque, devant les séchoirs. Qu'est-ce que j'aurais pu faire ? Je n'aurais pas supporté d'entendre cette dame exprimer une once de mépris pour cet homme, qui ramera probablement toute sa vie pour retrouver une dignité perdue.

Cet homme, je ne peux pas dire que je le connaisse ; pourtant il me semble bien l'avoir rencontré. Récemment, l'auteur de l'un de mes blogs préférés m'écrivait que, de passage à Paris dans quelques semaines, il retrouverait probablement à la Maison des Trois Thés d'autres blogueurs et que je serais le bienvenu si je souhaitais me joindre à eux. Cela m'a donné à réfléchir, car mis à part avec S., qui me réclame régulièrement une tasse (aujourd'hui un Milan Xiang), je bois seul en général. Et si la laverie m'offre quelques instants d'humanité, j'ai soudain réalisé que le thé ne m'avait jamais fait rencontrer personne.

Inversement, il paraît très difficile pour les gens de ma connaissance de me rejoindre dans cet intérêt pour le thé. Le gong fu cha, souvent, ennuie. Loin de l'image de convivialité de cette boisson, pour ma part, les meilleurs thés dont j'ai le souvenir sont des thés que j'ai bus seul et ceux que je fais pour les autres ne me paraissent jamais si réussis.

Confusion des genres

C'est vrai, quoi : de nos jours, comment savoir ?


http://www.tetesaclaques.tv/video.php?vid=321

mardi 22 janvier 2008

Le beau, le brut et l'inutile

L'utilisation de cet objet pour le thé gong fu présente deux inconvénients :
- malgré les proportions imposantes du réceptacle, le diamètre utile est réduit par rapport aux dimensions d'un plateau en bambou classique ;
- la grille supérieure n'est pas plane : les deux baguettes principales qui la structurent dépassent d'un millimètre, théière et pot y reposent de façon instable. D'ailleurs, le bois ayant joué, la grille est maintenant inamovible...

J'ai dégoté ce truc dans une boutique près du Friendship Store de Pékin en octobre 2006. D'après la tenancière du magasin, le corps est constitué d'une unique pièce de bois. Une couche de vernis si épaisse et opaque empêche de s'en assurer. Au fond cela n'a aucune importance, sauf peut-être pour certains lecteurs traumatisés de La Coupe d'or, de Henry James. En attendant, je n'utilise quasiment jamais ce plateau (ou ce bateau, ce saladier, cette bonbonne, je ne sais pas comment l'appeler). Du moins pour le thé : ce morceau de bois d'un brun très sombre, presque noir, met en valeur tout objet qu'on y pose. Et cette belle demi-sphère trône dans mon salon, nue ou surmontée d'une théière ou d'une tasse.

Calyste se demandait récemment quels objets lui tenaient particulièrement à coeur. Celui-ci n'a pour moi aucune utilité ni aucune valeur sentimentale. Pourtant, si je devais partir sur une île déserte, peut-être l'emporterais-je : je suppose que sa forme le rend apte à la flottaison et qu'on pourrait en tirer quelques expériences de physique amusante.

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J'ai parfois des satisfactions un peu minces : ce soir, mon thé m'a plu. Un Dong Ding n°8 de la Maison des Trois Thés. Christophe l'évoquait à la fin de son article en date du 3 décembre dernier. La première fois, il m'avait ébloui. Puis, confiant, je n'ai pas soigné mon approche et manqué les deux gong fu suivants. De simplement délicat la deuxième fois, il était devenu insipide et plat la troisième : totalement raté. Ce soir, à ma quatrième tentative, j'ai retrouvé le plaisir de sa découverte.

Je ne fais pas une montagne de rater un thé. Cela m'arrive assez souvent. Même les thés de grande qualité, censés supporter les pires traitements, peuvent ne pas se relever des miens. Je ne suis pas appliqué et il m'arrive de négliger les fondamentaux - par curiosité, comme ça, pour voir, pour éprouver les règles, ou par paresse et négligence. Je n'ai jamais utilisé ni thermomètre, ni balance. Je privilégie une approche lente et intuitive. Partiellement raisonnée, dans le sens où je mémorise l'ordre de grandeur des paramètres et les corrige au besoin la fois suivante, mais essentiellement instinctive. Je ne veux pas m'escrimer avec le thé, je ne veux pas d'un thé laborieux, je préfère un thé qui ressemble à mon humeur.

lundi 21 janvier 2008

L'ombre de la baleine

"Attention ! l'ombre des grands voiliers passe sur les dahlias des forêts sous-marines ;
Et je suis un moment à l'ombre des baleines qui s'en vont vers le pôle !"

Cloche à plongeur - Serres chaudes.
M. Maeterlinck

Bouh !

À mille lieues du lyrisme dantesque de Raphaël, j'ai en ce moment par bouffées des envies de prosaïsme. Selon le Petit Robert, l'adjectif dantesque signifie : "qui a le caractère sombre et sublime de l'oeuvre de Dante". Sombre et sublime : un alléchant programme, mais le sombre suffit à me rassasier les jours où le sublime m'assomme.

S. m'a prêté il y a longtemps pour décorer mon bureau une reproduction du tableau de Delacroix dans lequel on voit Dante et Virgile traverser le Styx. L'image est toujours là, punaisée au mur. Au début, mes collègues s'en inquiétaient : on préfère en général les jolies fleurs, la douceur d'une campagne mauve - et si sur les posters les mers se déchaînent, elles ne ballottent pas ce genre de poiscaille. Apparemment, de l'avis commun, Delacroix n'est pas très Feng Shui.

Cette reproduction, maintenant, mes collègues ne la remarquent plus. J'ai donc droit à ma petite dose quotidienne de sublime rien que pour moi dès que je pénètre dans mon bureau. Les tristes diront qu'il manque la pâte de l'original. À défaut, je m'en contente. Une photo d'orchidée ne coûte pas grand chose ; Delacroix... si. Sauf le premier dimanche de chaque mois, naturellement.

Cependant, malgré l'ample mouvement circulaire suggéré par cette peinture, toute image est par définition statique et j'en viens au fait : j'ai parfois envie de sombre pas sublime, de sombre qui bouge, et j'adore les films d'épouvante...

J'ai longtemps eu un faible pour les films d'épouvante en provenance du Japon. Le genre semble s'y essouffler et depuis The Grudge, de Takashi Shimizu, l'inspiration dans l'horrifique s'émousse chez les nippons.

Dans ce genre prétendu mineur, Kaïro, de Kiyoshi Kurosawa, est un chef d'oeuvre. Avec le temps et les visionnages multiples, on apprécie la force et la richesse de ce film. Le scénario rassemble deux éléments fondamentaux du cinéma asiatique en général : l'absence de démonstration, et l'imprécision entre étrangeté et quotidienneté. Les vues d'un Tokyo apocalyptique, antérieures à celles du Londres déserté de 28 jours plus tard, sont à couper le souffle. Les apparitions de spectres relèvent de la chorégraphie, techniquement impeccables. Elles font écho à l'imagerie traditionnelle japonaise (femmes aux longs cheveux noirs flottant tout autour d'elles), mais la dépasse en y mêlant des éléments très contemporains : le halo noir autour d'un spectre, au lieu d'une chevelure, peut devenir un vulgaire sac en plastique, dont une tête, qu'on ne verra pas, n'en finit pas de se libérer.

On a tout à fait le droit de n'y rien comprendre : tel que raconté ici, il ne s'agit pas du film dont je parle. On peut se contenter de relever les clichés, la bande d'ados boutonneux qui s'entraident pour survivre - énorme lieu commun du genre - mais le climat d'angoisse fonctionne à merveille. La psychologie des personnages se délite en même temps que les corps. D'après le réalisateur, ces jeunes gens représentent une génération qui se dissout, au sens propre, dans la technologie. Son propos est d'ailleurs assez subtil : internet comme vecteur de mort - cela donne à réfléchir... si on en a envie.

Ici, le récit s'établit sur un mode linéaire, avec un rythme crescendo hypnotique. Souvent, j'apprécie au contraire chez les cinéastes japonais, tous genres confondus, leur sens de l'ellipse, les soudaines fractures du récit, comme on en trouve chez Mizoguchi.

Hier, j'avais donc envie de sombre prosaïque en mouvement. N'y tenant plus, je suis entré dans la Chambre 1408. Comme le personnage, incroyablement mal interprété par l'insipide Cusack, j'étais curieux de voir ce qu'on y trouvait. Vous voulez savoir ? Ce n'est pas un scoop, c'est écrit  : l'ennui.

dimanche 20 janvier 2008

Fi du scorbut

J'ai toujours cru que la vitamine C se décomposait à très basse température. En conséquence, je ricanais lorsque je lisais qu'il fallait éviter de consommer tel ou tel thé après 16h en raison de sa teneur en vitamines, dont la C. Certes, je continue à ricaner, car on sait que la vitamine C a tendance à réguler le sommeil, non à l'empêcher. Mais je pensais surtout qu'en raison de la température d'infusion, il ne devait pas rester grand chose de cette vitamine dans la tasse.

Pourtant, j'ai fini par douter. En particulier cet hiver quand je me suis enrhumé. La notice du Fervex (mélange de paracétamol, de vitamine C et d'un antihistaminique) conseille de prendre ce médicament le soir dans de l'eau chaude : bizarre.

La page en français de Wikipédia est succincte sur ce sujet : 
"Très fragile en solution, elle est détruite au contact de l'air, par la lumière ou la chaleur."
La page en anglais est au contraire très optimiste :
"Normally, boiling water at 100°C is not enough to cause any significant destruction of the nutrient, which only decomposes at 190°C, despite popular opinion."
Tout est dans l'énigmatique "normally"... Et cette phrase concerne la cuisson d'aliments, non l'infusion.

Que croire ? Et quelle est la teneur réelle en vitamine C d'une tasse de thé (non d'une feuille) ? Bon, cette question ne m'empêche pas de dormir, et pour cause. Toutefois, si vous avez des tuyaux, je suis preneur.

Parce que les fleurs c'est périssable

"Les oiseaux gueulent, les fleurs puent." R.Queneau

samedi 19 janvier 2008

S'il n'en restait qu'un

Philippe, du blog "la Galette de thé", grand amateur de pu-erh et de yixing, celui-là même dont la collection de théières fait baver nombre d'entre nous, a eu la gentillesse de glisser un mot à propos de ma Poire à la fin de son dernier article. Merci Philippe !

Nous connaissons son peu d'attrait pour le zhong - du moins avec autre chose que les thés verts. Mais je ne vais tout de même pas avoir le toupet d'illustrer ce mot de remerciement avec encore une photo de théière, pour lui qui en possède de si belles et qui les photographie si joliment ! J'opte alors pour la photo de mon zhong favori, acheté il y a près de trois ans chez JingTeaShop : une porcelaine d'une grande suavité et d'une délicate couleur vert céladon. En le manipulant, je pense souvent à Bejita... 

Les blogs sur le thé sont déjà nombreux et d'un niveau remarquable. Mon goût pour le thé doit d'ailleurs beaucoup à l'internet. Je consulte mes blogs préférés avant d'acheter thé ou accessoire, pour relever les références conseillées par les internautes, ou pour comparer mes impressions avec les notes de dégustation de tel ou tel. "En forme de poire" n'est pas un blog spécifiquement thématique : sur le sujet du thé, on peut tout trouver ailleurs ! J'avais hésité à créer un site collectif, du genre dont raffolent les anglo-saxons, comme la Puerh Tea Community, afin de synthétiser un peu tout cela. Mais j'ai l'impression que ces sites marchent moins bien en France, où les forums sur le thème ne brillent pas par leur effervescence.

Dans la série "blogosphère du thé", relevons l'excellent article de Christophe en date du 15 janvier. Eh bien oui : un article sur Pu-Erh&Yixing, c'est un événement ! Et je suis heureux d'y apprendre que Christophe a aimé la Beauté Orientale Parfaite de Teamasters. C'est avec un échantillon de ce thé que j'ai fini 2007 et commencé 2008 : enivrant.

Yixing Zisha Mengchen Li Xin Hu

J'avais oublié cet article de Stéphane sur la noble symbolique de la poire à Taïwan.

Voici une photo de ma benjamine, que LE lecteur de ce blog connaît déjà.
J'y joins un petit portrait de famille. Il y a des absents, mais les plus assidus sont là.
J'apprivoise doucement mon petit appareil photo numérique.

vendredi 18 janvier 2008

Merci Bernard

"Ambroise Paré, la main savante" - Jean-Michel Delacomptée

Je suis un lecteur de la pire espèce, un dilettante qui se lance dans les livres tête baissée et qui se nourrit d'impressions. Il m'arrive de ne conserver qu'un souvenir fort vague de ce que j'ai lu. Les personnes sensées se munissent d'un crayon, prennent des notes, entourent des paragraphes et soulignent des mots importants, afin de mieux se pénétrer de ce qu'elles lisent. Elles peuvent retrouver plus facilement un passage particulier dans un ouvrage. Ce n'est pas mon cas. C'est dommage, car l'auteur de "La Main savante" a glissé une phrase, la seule du livre où il dit "je", dans laquelle il expose mieux que je ne le ferais moi-même sa démarche littéraire. En substance, il y explique que son dessein n'est pas de réaliser une biographie au sens traditionnel du terme, mais plutôt de saisir ce qui fait une vie et d'en condenser la substantifique moelle... Soit.
Au passage, je note que mon attitude face à la lecture est généralisable à bien d'autres domaines et me caractérise assez bien. Ainsi j'ai toujours voyagé sans appareil photo - j'en ai acheté un l'année dernière seulement, que j'ai étrenné à Chapelle-des-Bois ou peu s'en faut.

Certes la biographie d'Ambroise Paré est malgré tout traitée, même si ce n'est pas de manière chronologique. Plusieurs idées fortes structurent le livre et permettent de se forger une belle idée du personnage et de son apport à l'histoire de la chirurgie et de la médecine. Par exemple
- le développement des armes à feu au XVIème siècle provoque l'apparition de blessures nouvelles, appelant des traitements nouveaux ;
- Paré manifeste un souci de l'intérêt général (il écrit en français pour mieux diffuser le savoir) autant que du bien-être particulier (il préfère si possible les traitements indolores) ;
- il fait montre d'une grande rigueur morale, condamnant les Diafoirus charlatans autant que les faux souffrants qui cherchent à attendrir la sensibilité du dévot ou du riche pour enfler l'aumône ;
- sa volonté à s'élever au-dessus des querelles de castes est admirable, autant que son indépendance d'esprit, qui le conduisent à récuser dans les faits certains textes anciens même s'il doit s'y référer ouvertement pour asseoir sa légitimité ;
- et pour les affections qui demeurent inguérissables, "ainsi soit-il", il lui reste sa belle foi en Dieu, foi parfois attendrissante comme quand il loue les merveilles de la Création à travers des exemples tirés du monde animal (même si c'est pour mieux isoler l'homme dans sa particularité de créature divine).

Malgré tout l'intérêt du sujet, c'est l'écriture qui m'a laissé perplexe. On connaît la "poésie des listes", qu'ont dit toujours "à la Prévert". Hélas, l'auteur en abuse : listes de maladies, listes de symptômes, listes de remèdes tous plus ébouriffants les uns que les autres, listes des humeurs, des qualités, des tempéraments, des monstruosités (physiques ou de l'époque) et des curiosités... 
Dès le premier chapitre consacré à l'Hôtel-Dieu, voilà le genre duquel il retourne :

"Les brises de la Seine s'arrêtaient aux portes, l'air épaissi dès l'entrée, plombé de miasmes et de vapeurs : exhalaisons de blessures, plaies qui suintent, sueurs fétides, pestilence des vomissures, puanteur des gangrènes, touffeur d'urines, remugles de pus, relents de viscères, membres rongés par la vermine, déluge de toux, de gémissements, de plaintes, nuits interminables, moisissure des murs sous la chaux, déjections de latrines, gorges sifflantes, raclements de croûtes sur les peaux que démangeaient les invasions de puces et de punaises. Tâches sans répit où chacun s'activait : sanies à nettoyer, incontinences à éponger, fluxions à refroidir, plaies à déterger, blessés qui saignent, fiévreux qui geignent."

Et caetera
N'est-ce pas trop ? 
Pour ma part, je ne détecte aucune poésie dans ce texte, contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou ; je n'y vois pas plus de poésie que dans l'annuaire ou dans le dictionnaire des synonymes. En revanche, y pointe une tendance contemporaine à confondre l'amour de la langue avec la pléthore du langage. Et s'il s'agit de conduire le lecteur au bord de la nausée, Jean-Michel Delacomptée y parvient parfaitement à d'autres endroits. Je reconnais avoir eu une petite faiblesse dans le RER qui me ramenait du boulot à mon domicile en lisant la description de la ligature des artères après amputation, son "chef-d'oeuvre", ou la liste (encore une...) des symptômes de la lèpre, puis de la peste : que du bonheur...
Quant à l'image de la "main savante" (de la main "qui panse" à la main qui pense, jeu de mots tendu comme une perche à la critique afin qu'elle se croie brillante et sagace),  je la trouve d'un symbolisme lourd.

Or je n'ai pas fermé le livre. J'aurais pu en abandonner la lecture, je suis allé jusqu'au bout. Probablement pour Paré d'abord, dont les qualités humaines et intellectuelles attirent l'admiration ; nous avons besoin aujourd'hui d'admirer les esprits qui ont su s'élever contre les superstitions de leur temps. Enfin, en dépit de son maniérisme, l'auteur réussit à situer Paré dans son époque, cette Renaissance tiraillée entre un archaïsme violent et le foisonnement des idées. Paré en ressort comme un personnage si "bien" vivant - lui qui "trouvait plus noble de bien vivre que de simplement vivre" - si curieux et si vif, que j'ai l'impression d'avoir passé quelques heures en agréable compagnie dans un siècle pourri.

jeudi 17 janvier 2008

Où vivre

L'appartement prend forme. Je dispose dorénavant :
- d'un lit, pour me reposer des rudes journées de travail offertes à la France et à la postérité, lequel lit est flanqué de deux petits chevets chinois d'une belle patine crème, dont les tiroirs renferment mes rares galettes de pu-erh cru ;
- d'un canapé, où me vautrer quand je souhaite m'abîmer dans un livre, et d'un fauteuil assorti pour qui veut ;
- d'une bonne chaîne stéréo, connectée par WiFi à mon MacBook, ce qui présente un intérêt limité dans la mesure où le format iTunes me paraît d'une qualité sonore discutable (bien que meilleure que le mp3, ce qui n'est pas difficile) et où rien ne vaut finalement un CD, voire un SACD, supports grâce auxquels je profite vraiment de la qualité de l'installation hifi ;
- d'une bibliothèque, une seule bibliothèque, une bibliothèque de taille raisonnable, me permettant de stocker les 6 mètres linéaires de livres auxquels j'ai décidé de me restreindre désormais pour ne pas me laisser déborder, et dont la contenance m'a obligé et m'obligera à me déssaisir de tous ceux que je ne relirai jamais ;
- du strict nécessaire en ustensiles de cuisine.
Je devrais recevoir une table d'ici quelques semaines. Je suis encore à la recherche des chaises auxquelles l'assortir.

À peu de choses près, voilà mon bien, le plus précieux étant, sur le plan affectif, ma petite collection de théières (ou ma collection de petites théières), qui n'est pas encore à même de faire rougir Philippe, loin s'en faut, mais que j'aime contempler et arranger, épousseter si nécessaire, utiliser le plus souvent possible, et dont la proximité et la bonne ordonnance exerce sur moi un effet des plus apaisants.

lundi 14 janvier 2008

Ma rubrique Pipole

Joyeux anniversaire S. !!

"Être sans destin" - Imre Kertész


Le bimestriel Transfuge propose une entrevue avec Imre Kertész. Je n'ai pas encore lu le livre dont la traduction française vient de paraître, "Dossier K.", qui semble être une sorte de dialogue littéraire de Kertész avec lui-même. Mais cet article a ravivé mes souvenirs de lecture de ses romans précédents, et en particulier d'"Être sans destin".

Le premier roman d'Imre Kertész (prix Nobel de littérature en 2002) ne se contente pas de décrire les camps de concentration nazis vus à travers les yeux d'un adolescent. Il ne s'agit pas seulement d'une description factuelle de l'horreur concentrationnaire. Il ne faut pas confondre le jeune héros et l'auteur, même si Kertész lorsqu'il était à Auschwitz avait l'âge du personnage. Le texte va au-delà du témoignage. L'art du roman est de nous permettre de voir le monde à travers une autre conscience : "Être sans destin" est un remarquable roman.

Dans les camps, pour survivre, il fallait composer avec l'horreur : c'est de ce prix à payer que traite le livre. Par une sorte de glissement, pour que la victime s'en sorte, le mal absolu doit lui devenir aussi naturel qu'au bourreau. L'instinct de survie impose cette compromission. Kertész le rappelle dans l'entrevue : "Comme l'a dit Primo Levi, qui à mon avis, n'est pas assez radical, les véritables innocents sont ceux qui sont morts." Et plus loin : "S'il (l'enfant du livre) n'avait pas accepté la logique du monde concentrationnaire, s'il ne l'avait pas d'une certaine manière faite sienne, il n'aurait pas survécu. S'adapter était une question de vie ou de mort". 

Le livre de Kertész parvient avec force à nous plonger dans ce monde et à nous faire comprendre comment on pouvait, malgré tout, vivre à Auschwitz. À cet égard et à ma connaissance, bien que l'expression puisse paraître étrange, "Être sans destin" est l'oeuvre littéraire la plus intelligente sur la Shoah.

dimanche 13 janvier 2008

La poire et le fromage


En réponse à Debussy, qui lui avait conseillé de prêter davantage attention à la "forme" (structure) de ses compositions, Erik Satie écrivit ses "Trois morceaux en forme de poire". Encore plus fort que les Mousquetaires : ces morceaux ne sont pas trois, mais sept.

Je me suis souvenu de cette anecdote en cherchant un nom à ce blog. La forme de poire, c'est l'absence assumée de forme, le refus de la structure formelle.
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Ce titre m'est également venu en contemplant la dernière théière que j'ai acquise. Il s'agit d'une théière de forme Li Xin, en zisha, que j'ai achetée à Stéphane Erler. On devine sur la photo le grain de la glaise. J'aime tellement cet objet que j'ai choisi de le mettre en exergue sur mon profil blogger. Je prépare doucement cette théière à l'excellent Tie Guan Yin torréfié que Stéphane m'avait suggéré et que j'ai beaucoup apprécié cet hiver.

Le blog de Stéphane et les produits qu'il propose à la vente son remarquables ; j'ai mis le lien vers son site en tête de ma liste des "blogs sur le thé", à la droite de cette page. Les informations qu'ils dispense dans ses articles réguliers sont d'une grande richesse pour tout amateur de thé. Quant aux ustensiles et aux thés chinois et taïwanais qu'on peut lui commander, on ne peut trouver meilleure qualité pour des prix aussi avantageux. 

samedi 12 janvier 2008

Araignées

Il y a quelques jours, S., qui connaissait par ouï-dire mon aversion pour ces bestioles, a testé ma phobie. Tandis que je lisais tranquillement le journal sur son canapé, il s'est assis à côté de moi en disant : "Je vais te montrer quelque chose, mais ne crie pas." Il a ouvert un magazine de photos de voyages. Il paraît qu'au Cambodge, pays qui crevait de faim pendant les noires années de Pol Pot, certaines populations ont appris à accommoder les mygales (ou les tarentules, peu importe). Et S. de me montrer sur le magazine la photo pleine page d'une énorme araignée en gros plan - peut-être cuite et prête à être dévorée, peut-être encore vivante, je n'ai pas eu le temps de m'en rendre compte.
Mon coeur a fait un bond, j'ai été parcouru de frissons, je me suis recroquevillé en me cachant le visage du journal que j'avais en main... Il m'a fallu une bonne minute pour me calmer.
Je pensais illustrer ce post par une belle photo. J'ai tapé "mygale" dans google. Les premiers résultats de recherche étaient des pages de texte. En faisant défiler lentement l'ascenseur, j'ai commencé à voir des photos apparaître. Je n'ai pas pu les regarder, j'ai arrêté le défilement de la page, hésité, et finalement fermé mon navigateur.
Je me souviens que lorsque nous étions enfant, c'était surtout ma soeur qui craignait ces petites bêtes. Alors que nous vieillissons, c'est mon cas qui s'aggrave.

Certains soignent leur phobie en se confrontant au mal. Je ne m'imagine pas du tout en train de manipuler une araignée ; je préfère encore avoir peur ! La phobie de ces grosses araignées velues n'est pas trop handicapante sous nos latitudes, surtout en agglomération. 
S. me conseillait la psychanalyse. Bizarrement, l'araignée comme symbole du sexe féminin nous semblait évidente à tous deux. Mais qu'est-ce que cela peut bien expliquer ?


lundi 7 janvier 2008

"Rue Santa Fé" - Carmen Castillo

Dans son film, la réalisatrice raconte l'histoire humaine de la résistance à la dictature de Pinochet, à travers sa propre expérience et celle d'autres militants. A cet égard, elle nous parle autant de sentiments, d'amour, de nostalgie, que de politique à proprement parler.

Outre son récit, et l'exposé plein de pudeur du travail de la mémoire sur les lieux de son drame intime, deux grandes questions émergent du film : "Tous ces morts, cela valait-il la peine ?" et "Que reste-t-il de tout cela dans la conscience chilienne ?" Carmen Castillo pose ces questions avec une remarquable délicatesse, de sa voix cassée, de celles qui trahissent une vie pas tendre, et balade sa beauté triste dans le Santiago d'aujourd'hui. 

La beauté est d'ailleurs d'abord dans son regard de cinéaste, le film étant admirablement construit et équilibré. Comme dans un vrai film, on la voit évoluer en tant que personnage du récit ; elle revient en particulier sur son désir de récupérer à tout prix la maison de la rue Santa Fé. Elle qui voyait en ce lieu une sorte de sanctuaire, elle se trouve ébranlée dans son envie par les mots de son père, tentant de la remettre sur les rails du temps, ou par la rencontre d'étudiants, qui incarnent la continuation des idées pour lesquelles elle s'est battue, mais sous une forme nouvelle, inconnue d'elle, moins figée dans son organisation et dans son rapport au passé. 

Je fais partie d'une génération à mille lieux de cet engagement - engagement politique que Sartre a interrogé par exemple. A l'issue de la projection, je me demandais quels étaient les combats qui valaient la peine d'un engagement semblable, aujourd'hui, dans la France de 2008. Mais peut-on faire preuve d'autant de lucidité pour comprendre le présent ? Les combats qui exigeraient maintenant un engagement ferme et pragmatique, je ne les reconnaîtrai probablement que demain, lorsqu'il sera trop tard...

Je m'en vais méditer sur tout cela devant un petit Dancong, aux arômes de pamplemousse si consolateurs.

vendredi 4 janvier 2008

"Un homme" - Philip Roth

Dans ce roman court, Roth raconte, à travers la vie du corps d'un homme, celle de tous les hommes ("everyman" est le titre original). La construction cyclique appelée par le sujet est mise en valeur de manière assez subtile. La phrase est limpide. Le personnage, plus pragmatique que matérialiste, plus insignifiant que médiocre, gagne suffisamment notre sympathie pour que ses détails biographiques n'empêchent pas l'identification du lecteur et que son histoire touche à l'universalité... Et au final un livre féroce et puissant, pour nous rappeler que la vie n'est qu'un jeu de massacre.

Chapelle des Bois

Le paradis des skieurs de fond et des raquetteurs...

Cette année, la neige est abondante. Cela me ferait une belle jambe si je n'avais pas accepté, sur un coup de tête, d'y suivre un ami pour quelques jours de vacances. N'étant pas un adepte des sports d'hiver (ni des sports tout court), je me suis rendu compte un peu tard de l'investissement que cela supposait. Financier d'abord : vêtements techniques, pantalon imperméable, sous-vêtements chauds et vestes polaires, bonnet, etc. Jusqu'alors, je n'avais jamais envisagé qu'on puisse mettre le nez dehors par -5°C rien que pour le plaisir. Et par de telles températures, l'investissement n'est pas seulement financier, mais pour moi également physique. Inconvénient supplémentaire : il faisait beau lors de mon passage. Aucune excuse pour ne pas se lancer dans de longues balades dans le Jura : argh.
De guerre lasse, j'ai accepté qu'on m'attache des raquettes ridicules à chaque pied. Croyez-moi, j'en suis le premier surpris, mais je ne le regrette pas...

Les raquettes : la neige lisse les aspérités du terrain et amortit les pas, tandis que l'usage des bâtons soulage le dos. Moi qui déteste la marche, je revenais fringant de 4 heures de balade.
Nous nous sommes écartés des pistes balisées pour nous aventurer sur des chemins de traverse. Rien de bien exotique : des circuits de randonnées ou de VTT impraticables sous 30 ou 40 cm de neige et accessibles de nous seuls, munis de nos instruments bizarres qui nous faisaient des pieds de géants. J'ai parfois cru perdre mes doigts à cause du froid, mais ce type de marche m'a semblé très confortable.

La région : benh oui, c'est beau. C'est la nature, quoi. Vous savez, pour un citadin indécrottable... Mais allez, c'est bien beau tout de même, ces bosquets givrés, ces sapins noirs sous le blanc de la neige, et l'ombre des nuages sur les combes contemplées depuis le surplomb rocheux dominant le village. C'est vrai, c'est beau... Surtout quand on sait qu'un petit vin chaud nous attend en bas.

La gastronomie locale : vive le Comté, le Morbier, le Mont d'Or fondu sur les galettes de pommes de terre. Dieu que c'est bon, le cholestérol.

Excellente année 2008 à tous.

Chapelle des Bois - quelques photos