mardi 11 mars 2008

"There will be blood" - Paul Thomas Anderson

Il y a une douleur à ne pas apprécier ce pour quoi les autres se pâment. D'emblée, le sentiment qu'on passe à côté de quelque chose nous étreint. Cette idée, qui déplace le problème de la chose considérée à celui qui espère l'appréhender honnêtement, culpabilise. Et à la réflexion, si l'on convient qu'aimer n'a pas davantage de valeur que ne pas aimer, si l'on s'accorde à ce que la vérité ne réside en aucune des deux parties et que rien d'absolu ne s'étaie, on ne se console pas davantage. Plus que de l'opiniâtreté à défendre un point de vue, c'est peut-être de la frustration à ne pas pouvoir s'assurer de leur pertinence que naît l'âpreté des critiques.

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De la virtuosité avec laquelle s'enchevêtraient, pour une fresque ample et déchirante, les destinées de Magnolia ; des décalages et de la tendresse de Punch-Drunk Love ; de ses ambitions premières, Paul Thomas Anderson n'a rien gardé. Il préfère à présent le simple, le dual, les oppositions brutales et cousues de fil blanc.

Les compromissions dont se rendent coupables les deux protagonistes (le prédicateur et l'homme d'affaires, celui qui parle et celui qui agit) se répondent de manière parfaite. Ce jeu de miroir, qui aurait pu fonder avec un peu d'esprit la matière d'un scénario, ne brille déjà pas par sa finesse. Le cinéma américain sait nous dispenser de telles lourdeurs quand il s'en donne les moyens. Ici, chaque intention est appuyée. Par exemple, on voit bien comme le personnage incarné par Day-Lewis se détache de la société des hommes et n'en considère plus que la face sombre ; le cinéaste croit nécessaire de doubler cette idée d'un discours redondant, empâté, adressé au frère - faux frère, comme est faux le fils et faux tout le reste aux yeux d'un homme aigri. Dans cette volonté de mettre chaque chose en opposition, les relations père-fils sont l'occasion d'un jeu sur l'adoption et le reniement manquant tout particulièrement d'imagination.

Paul Dano, la révélation de Little Miss Sunshine, brode ici sur le même thème : l'adolescence boutonneuse à problèmes. On s'étonne d'ailleurs de voir à quel point il ne vieillit pas au long du film. A la façon des Sorcières de Salem, ce trouble adolescent apporterait une profondeur particulière à sa schizophrénie, réelle ou simulée. Sans nécessairement expliquer son comportement, cela lui conférerait une dimension tragique universelle. Mais pour alourdir ce qui n'a pas besoin de l'être, P.T. Anderson néglige d'esquisser seulement ce qui présenterait un intérêt : le prédicateur ne gagne jamais en épaisseur et à l'image des personnages, le film se saborde tout seul.

Pourquoi un tel mépris des personnages secondaires ? Pour se focaliser sur la narration et sa prétendue dimension épique ? Elle s'essouffle vite. A cet égard, on voit rapidement où le réalisateur veut nous mener : nulle part. Beaucoup s'étonnent de l'apparente absurdité d'une scène finale gueularde et sanguinolente. Pourtant, l'absurdité est le moteur toussotant du film : jusqu'au meurtre absurde, jusqu'au reniement absurde de son fils, un homme, incarnation du progrès, mû par une rage absurde, ne cesse de régresser. Notons au passage un n-ième exemple de bipolarité grossière dans ce jeu de balancier entre progrès (social) et régression (intime).

Ou bien les personnages secondaires demeurent-ils si incertains pour laisser la part belle à Day-Lewis ? Outre le scintillement de son œil bleu sous un sourcil qu'il arque démesurément, il peine à s'inventer des expressions et se donne beaucoup de mal pour un résultat laborieux. Ah ! si : il bave très bien quand il crie.

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Les relations père-fils, au cœur du dernier Cormac McCarthy, m'y semblent à peine mieux dessinées.

Dans No Country for old men (n'ayant pas lu le roman, je parle du film des frères Coen, dont on m'a chuchoté que l'adaptation était fidèle), un dialogue entre le shérif et son vieil oncle suffisait à faire glisser le propos d'un simpliste "c'était mieux avant" vers l'idée d'une perpétuation du Mal à travers les âges. Inhérent à la nature humaine, ce Mal incarné par un tueur psychopathe devenait figure universelle. Ainsi, du film ou roman noir, on basculait vers le thriller métaphysique.

Le point de départ de cette "Route" me paraît l'exemple parfait de la fausse bonne idée. Dans un monde post-apocalyptique, il faut se creuser les méninges pour imaginer des ressorts dramatiques ; les ressorts psychologiques s'en ressentent. L'absence de toute possibilité d'action fait de la Terre entière un désert des Tartares, mais l'attente dégénère plus facilement en l'ennui qu'elle ne suscite angoisse et suspense.

A vouloir épurer son récit, malgré un style dense et viril, McCarthy dresse des portraits à la serpe. Au-delà de la noirceur d'ensemble, le fusain ayant bavé partout sur la page, que veut-il dire à travers sa mise en scène poussive ? Je défie quiconque de comprendre si le sens moral dont fait preuve l'enfant, entretenu par le père, est selon l'auteur inné ou acquis. Ce débat me paraît d'importance au vu des prémisses ! Peut-on d'ailleurs parler de morale ? Elle se réduirait à un "c'est nous les gentils", fondant l'humanité sur une dichotomie pitoyable, plus spécifiquement crétine que manichéenne, digne du Grand Président Républicain encore en exercice outre-Atlantique.

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J'exècre beaucoup ces temps-ci. L'approche du printemps me fatigue et me diminue. S. règne encore superbement sur mes vestiges. Il a bien du mérite.

3 commentaires:

Raphael a dit…

Tu n'es pas seul dans la ville.
Je n'ai pas non plus apprécié NCFOM.
J'ai été déçu par ce que l'on nous vendait comme le plus grand des Coen.
Et pourtant je suis un fan invétéré de The Big Leibowski mais aussi de Fargo et de quelques autres.
Ce western moderne est complaisant, inutilement intellectuel et paradoxalement vide de sens.
Et puis, cette mode actuelle de l'ultra-violence au cinéma me fatigue.
A tel point que j'ai zapé TWBB.
Au moins, l'issue est annoncée d'avance et je me passe aisément de viande crue, ces derniers temps.
Bon allez, je crois que je vais me refaire Match Point pour la 7ème fois histoire de renouer avec le génie.

Patrick a dit…

La mode de l'ultra-violence au cinéma, toute mode en réalité, me convient tant que les films sont bons. En tout cas, "There will be blood" ne surfe pas du tout sur la même vague, et je n'y ai pas vu de violence complaisante ; reconnaissons-lui au moins ce "mérite".

A propos de "No Country..." : pour moi, le film des frères Coen est la chose la plus jouissive (par sa réalisation) et intelligente (par sa narration, certes davantage que par son contenu) que j'avais vue au cinéma depuis un bon bout de temps.

(J'avais pensé terminer cet article en évoquant le vrac 23, mais je crois que cela m'aurait déprimé encore plus.)

LIO a dit…

ça me donne envie de prendre congé un soir et de me faire une toile tes histoires... c'était la pause de midi et au lieu d'acheter un torchon médiocre aux titre racoleur, j'ai pris le temps de lire ton article.

Tjrs du plaisir à te lire.