Du plaisir qui marqua mes premières initiations, je dirais qu'il dérivait d'un contact au végétal, 铁观音 et 翠玉 tout d'abord. Je parle du plaisir qui suscite le "j'en veux plus" et invite à approfondir la pratique. Je le retrouve aujourd'hui, avec davantage de relief et brodant sur des motifs différents, dans la compagnie des 单丛. Pourtant, au citadin que je suis, les références à la nature n'évoquent, au mieux, que la peinture de paysages. On trouve plus odoriférant qu'un Corot. Ma notion du végétal, qu'on érige paraît-il en un règne, demeure assez vague. Je hume sans émoi les poireaux du marchand qui me regarde en oblique, et mes phalaenopsis exhalent un gigantesque rien, très pictural par conséquent. Autant que mon kentia, du pot duquel s'est échappé l'autre jour un lombric : je l'ai affronté sans défaillir, je pense être paré pour la jungle amazonienne. Certaines huiles essentielles que je possède, vestiges d'une lubie, aussi volatile que ses supports, pour l'aromathérapie, m'en donne parfois une image saturée. Ah ! le temps où je mettais en marche les diffuseurs électriques, où je me réfugiais dans le bureau quand je souffrais du foie, dans la cuisine en cas de maux de tête, pour finir avec le tournis et l'envie de vomir... Ce végétal des premières évocations, je devais l'idéaliser largement. Reste que si je souhaitais dégoter une fleur parfumée, j'aimerais qu'elle sente précisément cela : par exemple un Tie Guan Yin n°4 qui n'a pourtant pas tâté de mes lèvres depuis trois ou quatre ans.
D'emblée, j'aime les 武夷. Je les savoure comme autant de petites crottes cacaotées. Hélas, le double effet Kiss Cool me terrasse : environ une heure après en avoir bu, giflé par un tsunami glacial, je frissonne et claque des dents. Le soir, je n'arrive pas à m'endormir, je grelotte seul sous la couette et me relève à tout bout de champ pour tripatouiller le radiateur. J'y reviens tout de même : les salauds, je les aime trop ! Je ne pense pas que la torréfaction soit la raison de cette sensation de froid, certains thés fortement torréfiés ne produisent pas chez moi ces effets. Qu'en diraient les biologistes ? Cela aurait-il à voir avec une quelconque dilatation des vaisseaux ?
Les 普洱 sont cause de mes plus grandes frustrations. Lançons-nous : je trouve d'abord que les jeunes sheng sentent le sperme : voilà qui est dit. J'ai retrouvé cette... fragrance... sur la plupart des crus qui me sont passés entre les mains. Cela ne constitue pas une grande population mais j'y ai décelé cette caractéristique commune. L'odeur, parfois mêlée à des notes de sueur (je trouve aussi des relents de transpiration, éventuellement agréables, sur certains thés verts), appelle des dosages micrométrés et s'atténue admirablement en théière. Mais à prendre ses précautions et sortir l'attirail à chaque fois, j'ai l'impression d'une tricherie. Comme si votre jeune amante devait revêtir sa dentelle noire pour vous faire encore de l'effet, ou votre amant son jockstrap imitation léopard : ce peut être l'occasion d'ébats réjouissants, mais si par hasard, en plein office, vous vous demandez : "Mais qui est cette personne ? Ah ! mon Dieu, c'est vrai...", subitement c'est une image sans fard qui s'impose à votre esprit et vos ardeurs s'émoussent. Du moins les miennes, qui se perdent alors dans les méandres impénétrables du non-désir. Ne pas revenir au 盅 ! Les vieux amants en revanche conservent leur flegme dans ces batifolages. Gérontophilie ? Non : je me contente de lorgner vers des références de mon âge. J'en appelle d'ailleurs aux amateurs : seule pour le moment l'élégance imperturbable d'un vrac n°11 m'a vraiment séduit, que me conseillerait-on dans ce registre ? Puisqu'il me convient, je pourrais me réjouir de sa matière et m'y cantonner. La nature infidèle de l'homme s'éveillerait-elle en moi ? Je poserai bien, en attendant, un jour ces questions au monsieur derrière le comptoir.
Les cuits me procurent un plaisir plus immédiat, mais manquent de profondeur de champ. Pour filer la métaphore, ils ont un côté "péripatéticien" (pas au sens d'aristotélicien, je le crains), donnant mécaniquement ce qu'ils ont à donner. Parfois, le soulagement procuré s'avère bel et bien jouissif, mais on a le droit d'exiger davantage de l'amour.
Et parmi ces agréables facilités, on l'aura compris, ma passion du moment reste la délicatesse du 白毫, dont je ne suis pas certain de la transcription en caractères chinois mais qui n'est pas encore parvenu à me lasser.
18 commentaires:
Salut P.
"Les cuits me procurent un plaisir plus immédiat, mais manquent de profondeur de champ. Pour filer la métaphore, ils ont un côté "péripatéticien" (pas au sens d'aristotélicien, je le crains), donnant mécaniquement ce qu'ils ont à donner."
C'est pour cela qu'ils ont été créés! Un pu erh cuit a la rude et impossible tâche de faire comme si, comme si c'était un cru millésimé. On accélère le film pour s'arrêter sur la scène, le moment qui nous attire. Un goût de "cru" millésimé sans le prix....
Je ne suis pas spécialiste, mais en général, les crus se boivent vieux, dans le meilleur des cas ils perdent leurs défauts et gagnent des qualités. Hormis en dégustation ou là, il est utile de boire un cru jeune, ceci pour déterminer (si on en est capable) le potentiel de vieillissement du bazar.
Aussi, peut-être devrais tu te rabattre sur des vieux crus, minimum 10 à 15 ans... le sperme devrait avoir disparu. J'aime l'idée d'acheter pour dans 15 ans, c'est une manière aussi élégante qu'inutile de s'opposer à la consommation outrancière que la société nous propose quand elle n'oblige pas.
Cela dit, il existe des puerhs crus bon à boire jeune. Je me réjouis d'en proposer un très bientôt... parmi d'autres jolies choses.
Lio, je te rejoins sur l'analyse des cuits : ils ont très probablement été créés pour fournir ce plaisir simple et direct, que je ne boude pas.
"Je ne suis pas spécialiste, mais en général, les crus se boivent vieux"
Bon, cela peut tout de même dépendre des goûts !
J'avais déjà évoqué quelque part mon peu d'attrait pour les jeunes shengs. En fait, même sur certains crus de 10 ou 15 ans, j'ai retrouvé cette odeur. Au fond, peut-être est-ce que je n'aime tout simplement pas les shengs... Sauf que j'adore le vrac n.11, du coup je m'interroge : alliée à quelque 35 ans révolus, la forme vrac accélèrerait-elle aussi la mâturation et favoriserait-elle l'évaporation des notes déplaisantes à mon goût ?
J'achète aussi de temps en temps. Pour maintenant, avec un espoir souvent déçu, ou pour plus tard, ce qui est pour le moins aventureux. Mais je ne me souviens pas d'avoir encore, en goûtant une galette ou un carré de sheng, poussé un "wa-ouh" de bonheur. Je sens que cela devrait pouvoir m'arriver, mais où ? quand ? à quel prix ? Alors j'attends encore un peu et continue à goûter d'autres choses, mais je vais bien finir par trouver le temps un peu long...
J'ai écrit "frustration" dans l'article, le terme est un peu fort ; au fond, je m'en fous ! Il y a quantité de thés merveilleux et qui m'enchantent.
Et j'attends avec impatience cet article dont tu nous menaces. J'irai probablement faire un tour du côté des références que tu y listeras, j'aime recueillir des avis. Y compris pour tout jeune sheng que tu pourrais conseiller. Je me dit qu'après tout, je ne suis pas à l'abri d'une illumination.
Patrick : côté jeunes shengs, les must have sont les galettes 30/1999 et 31/1998 de M3T. Différents l'un de l'autre, le 1999 a un parfum extraordinaire, vraiment très supérieur pour moi à tout jeune sheng que j'ai pu goûter...la 1998 a probablement connu un vieillissement (au moins en partie) humide et a donc vieilli plus vite, et donne une liqueur minérale, plus avancée déjà que l'autre.
Le TC 1986/8 de M3T est aussi sublime...(sheng)
As-tu goûté l'échantillon que je t'ai envoyé ?
Je connais aussi le vrac 1970 n°11. Superbe effectivement. Effectivement aussi le fait qu'il soit en vrac l'a fait vieillir plus vite et l'a probablement débarassé des ..fragrances...qui t'incommodent...
Enfin, savoureux post que tu nous offres là...belle plume vraiment...
Lionel, à ma grande honte, je dois avouer que je n'ai pas encore goûté tes échantillons... Ne m'en veux pas ! Je les regarderai attentivement dès que je serai dans l'état d'esprit de m'y concentrer. Enfin... les regarderai ET les boirai, bien entendu !!
J'ai un exemplaire de la galette 31/1998. De prime abord, je n'ai pas réussi à adhérer. Je dois reconnaître que je ne l'ai testée qu'une seule fois en zhong, je suis passé à côté et il va falloir me faire un brin violence pour y retourner. Elle m'a laissé une impression très bizarre : en-dessous des notes humides liées à sa conservation, qui conduisaient d'ailleurs dans ma tasse à une liqueur très trouble et pas jolie du tout, je décelais nettement le caractère sheng auquel je me heurte. Minérale, certes, mais bien sheng, sans aucun doute, même si elle espérait se déguiser. Je ne l'ai pas essayée en théière parce que je n'ai pas de théière pour ces thés ! Mais j'en ai peut-être une petite que je n'utilise plus et pourrais reconvertir, je vais expérimenter...
J'ai goûté dans les mêmes conditions un échantillon de la 30/1999, que m'avait fait parvenir Jeancarmet. J'ai préféré ! Là, pour reprendre les commentaires dont j'avais fait part à JC, cela m'a rappelé l'odeur d'un collègue gros fumeur ; lorsqu'on pénètre dans une pièce qu'il vient de quitter, on le sait tout de suite. Ce n'est pas vraiment la sueur rance, ni le tabac froid, mais la nicotine transformée par l'organisme et qui exsude par les pores de la peau. En tout cas, quelque chose, encore une fois, qui m'évoque des images très oragniques... Toutefois, étrangement, j'ai préféré celle-ci, indépendamment de son âge ou des conditions de conservation. Parce que malgré des évocations pas toujours roses, son nez m'a paru sous le couvercle du zhong d'une plus grande complexité.
Voilà, je suis peut-être un poil difficile. Surtout, comme je me refuse à prendre cela trop au sérieux, je ne respecte jamais aucun paramètre quantitatif. Mon grammage est très approximatif. Ces thés me sauteraient peut-être à la figure si je m'appliquais davantage... Je ne m'en prends qu'à moi-même ! Mais précisément : le vrac 11 (sans vouloir passer pour monomaniaque) me fait toujours saliver et soupirer d'aise, avec du trop ou du trop peu, du trop long ou du trop court, de la porcelaine ou un autre truc, bref : très résistant à mon geste. Il me convient aussi pour cette raison peu avouable. ;-)
"Voilà, je suis peut-être un poil difficile. Surtout, comme je me refuse à prendre cela trop au sérieux, je ne respecte jamais aucun paramètre quantitatif. Mon grammage est très approximatif. Ces thés me sauteraient peut-être à la figure si je m'appliquais davantage... Je ne m'en prends qu'à moi-même ! Mais précisément : le vrac 11 (sans vouloir passer pour monomaniaque) me fait toujours saliver et soupirer d'aise, avec du trop ou du trop peu, du trop long ou du trop court, de la porcelaine ou un autre truc, bref : très résistant à mon geste. Il me convient aussi pour cette raison peu avouable. ;-)"
On est d'accord, le vrac 11 c'est un cuit?!?
Si c'est le cas, je dois avouer que je l'apprécie même si je le trouve un peu cher.
Ce que tu soulèves à la fin de ton dernier commentaire me semble assez juste. Hormis pour les dégustations que je partage avec le public du blog, je ne suis pas trop regardant pour les grammage et tout. Enfin j'y vais d'expérience. Et mon expérience m'a montré que pour le jeune cru il valait mieux doser léger et laisser infuser un peu plus longtemps. Il faudrait rajouter que certains ne valent rien à tous les sens du terme, que d'autres sont bon jeune et vieux etc.
Oui, concernant les nouveautés de la CAT... cela ne se limite pas à un article. D'où cette insoutenable attente... même si la façade semble tranquille, on s'active en coulisse... bien du plaisir en perspective... en tous cas pour moi!
Il faut que je t'ajoute à mes favoris... a plus
"le vrac 11 c'est un cuit?!?"
Intéressante question. Le monsieur du comptoir me l'avait présenté comme un "sheng cha" ; je l'ai d'emblée rangé dans cette catégorie. Mais essayons de le considérer froidement :
- un thé que j'apprécie ? d'après tout ce qui précède : shu ;
- la couleur des feuilles sèches me paraît quelque peu lisse et égale : shu (m'enfin ce que j'en dis) ;
- les feuilles sèches dans le zhong chaud, le parfum sous le couvercle, me rappellent ce soir la croûte de vieux fromages à pâte molle, bien faits : sheng ? ;
- les feuilles rincées dégagent une délicieuse odeur de tourbe : sheng ou shu ;
- l'infusion, à grammage et temps (à peu près) égaux, me paraît limpide et transparente comparée à celle de mes cuits habituels : sheng ;
- sous le couvercle de la première infusion, et sur les feuilles refroidies, du boisé, du légume cuit, joint à ce côté "crémeux" si caractéristique (je ne sais comment dire) que j'ai défini dans l'article pour ses versions fringantes et qui se marie ici fort admirablement au reste : sheng-sheng-sheng ;
- de la douceur sucrée, avec la petite pointe de sel nécessaire pour l'équilibre parfait : sheng ?
En clair, peut-être as-tu raison, je n'en sais rien ! Pour un shu, j'y vois un très bon shu. Pour un sheng, un très bon sheng.
Quant au prix, je me remémore une phrase de Hobbes, du blog the Half-Dipper, en commentaire d'un de ses articles récents : "Though paying €130 for 400g would be a bit much, I find that it is easier to digest spending smaller amounts - even if the price-per-gram is higher."
http://half-dipper.blogspot.com/2008/02/2007-maison-des-trois-thes-mengkuxue.html
Il ne m'a, en tout cas, pas laissé à l'achat "l'impression" d'un thé cher. Mais on aura compris que je bois peu de Pu Er, et mes échelles s'ajustent peut-être de manière inversement proportionnelle à la consommation que j'en fais...
Autre commentaire : la page Wiki dédiée au Pu Er date l'invention du cuit à 1972. Le 11 est censé être de 1970. La concordance, même approximative, me fait marrer !
http://en.wikipedia.org/wiki/Pu-erh_tea#Ripened_pu-erh
Au pire, je suis prêt à croire celui qui criera le plus fort son opinion. Mais du 11, j'en boirai de toute façon. ;-)
Je contrôlerais en rentrant si c'est bien cette référence que j'ai en stock.
Intéressant et amusant cet article wikipé.
A dire vrai, je n'ai plus souvenir du prix exact de ce bazar des seventies. Avant de raconter des sottises, je vais m en refaire une tasse... pas que je le confonde avec d'autres bois... et peut-être en reparlerons-nous.
Racontez un peu, ce n°11, voilà que j'ai envie d'en savoir plus. En ce moment je suis un peu aussi vissée au carré n°3 que la pliée de pétoncles à son rocher, mais je n'exclus pas une passade.
Flo, le n.11 a pointé son nez de ci de là dans les blogs. Si tout le monde admire son fondu, son drapé ou son tombé, son élégance, même un peu courte, il ne semble susciter la passion chez personne. Pour ma part, il constitue la quintessence de ce que je chercherai dorénavant dans les Pu Er, mon mètre étalon, par cette délicatesse même autant que par sa robustesse...
Je ne tiens pas d'archives dans lesquelles retrouver une indication de son prix. De tête, quelque chose comme 60/70 euros les 50g, à confirmer. C'est sûr, ce n'est pas donné... En tout cas, je ne me permettrais pas de "conseiller" quoi que ce soit à qui que ce soit, ce me semble une trop lourde responsabilité ! Je ne fais que décrire mes goûts propres.
Je profite de ce commentaire pour préciser une petite chose, qui à la relecture de l'article me semble mal dite :
Si j'ai souvent du mal avec les Pu Er, le manque de référentiels gustatifs, que je décris dans le premier paragraphe, s'applique pour moi tout autant à cette famille de thé qu'à celles que j'évoque au début (TGY...) ; je veux dire que c'est peut-être justement ces lacunes dans mon "éducation des sens" qui me font manquer certains Pu Er globalement appréciés de tous.
Flo : qu'a t-il, ce carre 80, de proustien ? (je suis un grand lecteur amoureux de Proust - pages 78-79 - "du cote de chez swann" )
Patrick : il y a tellemnt d'autres pu er dignes d'interet ...Je penses etre de passage a M3T en arvil...?)
Oui, bien sûr Lionel ! Et je me réjouis d'avance de tout ce qu'il me reste à découvrir !
L'objet de tout ce blabla, c'était juste d'expliquer combien pour moi cette famille est la plus difficile d'accès. Mais naturellement, c'est aussi cette complexité qui me donne envie d'approfondir.
ah ah, Lionel, je suis moi aussi une fan de La Recherche --je vois du Proust partout du coup. Tiens par exemple, quand je lis un post où la capacité de telle théière à magnifier tel thé, je me dis que la théière est au thé ce que Boticelli fut à Odette -c'est dire.
Alors, ce carré n°3 : proustien
>>en un sens très subjectif : j'ai mis quelques années qui ont servi de révolution du temps pour le retrouver, c'est-à-dire plus exactement pour me rendre compte à quel point je l'aimais, et c'est là qu'il m'est apparu dans une vérité aromatique.
>> au sens où il contient, enroulées, des saveurs et des arômes comme compressés dans des strates de mémoire. mémoire du carré : il est très intérieur, il ne parle pas fort, il est comme ces gens qui ne racontent pas leurs émotions et leurs pensées mais dont en les fréquentant on se rend compte d'une sensibilité et d'une activité sensorielle et "cérébrale" hors du commun, et à qui on se met alors à tenir intensément et avoir envie d'absorber de leur monde intérieur. mémoire du buveur : les échos aromatiques m'ont renvoyée à des senteurs et saveurs familières, elles-même porteuses de souvenirs et d'impressions, qui se sont retrouvés réinterprétés (et parfois déstabilisées) à travers ce carré.
>>au sens où il a une capacité à faire se déplacer le point de vue du buveur, un peu comme le fait le narrateur de La Recherche (et le lecteur aussi) ; bien sûr, cela se peut dire de bon nombre d'autres pu er j'imagine bien, mais je soutiendrais volontiers que pour le carré 3, c'est encore plus frappant -peut-être parce qu'il est un peu "en dedans", pas du genre extraverti.
Il me paraît exprimer à la perfection, jusque dans sa disparition prochaine, le passage de La Recherche qui parle de la fugacité et du retour des choses et de l'immense édifice du souvenir.
Finalement, je rebois le carré 3 comme je relis ces volumes. Je crains le moment où il fera comme Albertine, tout en sachant très bien qu'il n'est pas tristement impossible qu'à ce moment-là je fasse comme le narrateur cessant d'aimer Gilberte ou de magnifier Oriane.
En bref, c'est un délire perso :DD
(au fait, va voir sur le site du Collège de France pour récupérer les leçons d'Antoine Compagnon de 2007 sur Proust...)
"En bref, c'est un délire perso :DD"
Bon, alors là, Flo, pour le coup, si tu permets, je n'ai plus qu'une envie : te rejoindre dans ce délire-là !
Pfiou...
c'est très simple : tu lis La Recherche du Temps Perdu. Tu tombes amoureux de ce texte, tu ne peux plus t'en détacher, tes yeux sont absorbés et tu y rencontres mille choses que tu sais avoir ressenties, pensées, imaginées, dites avec tant d'exactitude et de sincérité, que les lire est une révélation, un flash. La beauté du texte te ravit. La structure du récit est une merveille d'intelligence et de complexité cérébrale et sémantique --sans "inaccessibilité". Donc tu relis. Et tu relis. Et tu relis. Tu infuses, un peu mieux chaque fois. Tu lis aussi plein de trucs sur Proust, son texte, sa biographie, sa correspondance. Tu lis les autres textes, même ceux qui sont un peu chiants. Et un beau jour, paf, tu l'as dans la peau, tu es proustien. Tu rencontres un carré, c'est un pavé magique que tu effeuilles comme le texte qui t'as tant formé le sentiment, et qui te confirme des vérités nouvelles.
De toutes façons, je crois que quand on aime le thé on est déjà un peu dans le feeling, j'imagine volontiers que si Marcel Proust était notre contemporain il serait un fondu de thé.
Pasqualini reprend un bout de texte de La Recherche dans son livre (je vais retrouver ça et te dire la page) ; je ne serais pas plus que ça étonnée d'apprendre qu'il est un proustien --ou alors il y a affinité cérébrale intense entre lui et ce texte.
Mais je me serais pâmée avec le carré 3 même sans Proust : simplement, j'aurais eu un parallèle textuel manquant, je crois. D'un autre côté, dès lors que tu as un auteur que tu aimes, à un moment donné tu peux rencontrer un thé (ou un vin, ou autre chose) que tu mets, dans ta cartographie personnelle, dans la même zone que le texte de cet auteur-là.
J'ai lu la Recherche il y a une dizaine d'années. Evidemment, elle fait partie des rares livres que je conserve et qui me suivront. Mais de la même manière que je n'emportais jamais (jusqu'à une date récente) d'appareil photo en voyage, je me suis toujours, malgré quelques velléités, refusé à la reprendre. Je crois que je préférais laisser son souvenir grandir en moi, avec la certitude que de toute façon j'y reviendrai. Et j'aimerai probablement alors constater à quel point je l'ai oubliée, ou comme les passages qui m'avaient paru irritants seront ceux qui me toucheront en réalité le plus : qui sait ?
(Je garde aussi un souvenir ému des "Plaisirs et les Jours").
Mais j'y pense : mon attitude face à la Recherche est identique à celle que tu décris, Lionel, vis-à-vis des Rochers :
http://emotionsdethe.over-blog.com/article-17404354.html
Mais ce roman m'aura laissé une impression si profonde qu'au lieu d'en temporiser le contact à l'échelle de la semaine, je le repose sur quelques décennies.
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