mardi 29 avril 2008

"Lady Jane" - Robert Guédiguian

La belle lurette que je n'avais mis les pieds dans un cinéma. Ni par dégoût, ni par paresse ; sous le prétexte d'un manque de temps, par simple défaut d'envie. Qu'on s'y sent bien pourtant, dans ces salles ! Comme j'oublie mon humeur dès que s'éteint la lumière ! Quel repos ! Je croirais presque ces bienfaits indépendants de ce qu'on y montre. Qu'importe un siège déglingué ? deux vieilles pipelettes à quelques rangées de là ? Je me languissais d'un certain velours rouge et des crachotements d'un son trop fort.

Dire que j'y allais cette fois à reculons... Pas à cause du beau temps : je préfère ces ténèbres qui rassurent aux perversités d'un air de printemps, où bientôt vibrionnera le pollen et toutes les cochonneries réveillées par l'allongement du jour. D'ailleurs, au cinéma, on n'est pas seulement bien, on y savoure aussi la tranquillité quand les parisiens se promènent. Non, je traînais des pieds parce qu'après une expérience douloureuse je me méfiais de Guédiguian. Bah ! Ma soif d'obscur m'aura vite fait céder et les suspicions qu'éveillait ce nom en moi ne valaient pas la peine que je me donnais. 

Certains automatismes du cinéaste m'irritent. Ainsi de l'Estaque toujours en fête : cet acharnement à nous rappeler que les gens de tel ou tel milieu ont un cœur gros comme ça me paraît louche. Car, enfin, qui doutera qu'on trouve autant de drôles et de vilains ici qu'ailleurs ? La partialité - celle qui se prend au sérieux - appelle des compensations, par lesquelles s'annule l'idée initiale. 

Au fait, de quoi s'agit-il, cette fois ? De trois échantillons d'une génération marquée par ses idéaux gauchistes, trois personnages perdus, en quête d'un renouveau de sens. Louable attitude. Dans une séquence, deux d'entre eux retournent dans le quartier de leur jeunesse où d'anciennes connaissances ne les remettent pas. Du coup je m'interroge : du "perdus qu'on ne reconnaît plus" au "perdus car ayant oublié leurs origines", je franchis le pas pour trouver le propos téléphoné. Surinterprété-je ? Allons, trop heureux d'être où je suis, je dépoussière les vestiges de ma bonne volonté : j'oublierai que je suis trop sensible à la caricature, aux images mal amenées, comme celle de l'oiseau enfermé dans l'église ; j'oublierai même les bavardages assommants, celui du vieux phraseur que l'on visite dans sa chambre, qui nous inflige un monologue creux, mal écrit, qu'on croirait tombé de la plume d'une fillette de douze ans. Voilà, je patiente et me ressaisis pour me concentrer sur le meilleur, un excellent scénario de film noir, soutenu par une mise en scène classique, ni laide, ni prétentieuse. Déjà pas mal.

Au fond, que manque-t-il à Lady Jane pour jouer dans la cour des grands ? D'abord un auteur décomplexé qui saurait réellement bousculer ses idéaux pour mieux les interroger. L'histoire de ces trois personnages tourne autour d'une manipulation - façon en apparence de reconsidérer le fondement de ce qui les relie, leurs anciennes valeurs communes, mais surtout d'esquiver les questionnements puisque les purs sont manœuvrés. Hélas, avant tout, le film souffre d'un manque patent de son actrice. La pauvre Ascaride flotte dans un rôle trop grand pour elle et s'escrime à entamer son capital sympathie sans dépasser le stade de l'inexpressif. Saccader son geste, ouvrir des yeux exorbités ne suffit pas. Qui ouvre encore des yeux comme ça ? Et quelle actrice, de nos jours, saurait à la fois rendre crédibles des origines supposées populaires, ne pas se ridiculiser dans l'embourgeoisement et se montrer touchante dans son endurcissement même ? Pas elle.

Malgré ses défauts, ce film conservera longtemps dans mon esprit l'éclat des découvertes. En deux répliques, un acteur m'a captivé. Je faillis me pencher vers mon voisin pour le lui signifier : regarde ! enfin de l'incarné parmi ces interprétations étales ! Vivant, vibrant, rugueux enfin dans un film lisse, pour une séquence qui ne s'avérera pas anodine. Ouf ! Je ne me serais pas résolu à voir ce second rôle cantonné à une seule scène. Pensez-vous que Guédiguian m'ait entendu ? Pour moi, de loin, ce que ce film a de plus fascinant, par sa puissance discrète et efficace, a pour nom Yann Tregouët.

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Quand j'affirme avoir détesté Marius et Jeannette, je passe pour un nazi. Je soupçonnais Guédiguian d'entretenir ce manichéisme, cette étroitesse de vue qui ne s'exprime que dans la dichotomie. Lady Jane ne m'aura pas convaincu du contraire. Au moins aurai-je appris que ce cinéaste est parfois transpercé de bonnes idées.

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