dimanche 17 février 2008

Madame Homais

La pharmacienne est l'épouse du pharmacien. Je trouvais cette certitude bien rassurante. J'aimais une langue belle et commode qui savait rendre à chacun sa dignité. Les noms de métiers féminisés m'ont longtemps pincé le coeur. Non comme d'une blessure de virilité, mais parce que j'y entendais autant d'insultes adressées aux femmes. Le premier désireux de reconnaître leur place dans la vie sociale, je ne comprenais pas qu'on s'acharne à les rabaisser, paradoxalement par cette féminisation même des intitulés de fonction, au rang de figurantes. Je les préférais libres et actives, évidemment bonnes pour autre chose que jouer les épouses de maris laborieux.

Dans ce débat désormais d'arrière-garde, tout n'était pas aussi simple que je voulais le croire. Déjà, certaines fonctions s'accordaient parfaitement du féminin, et des plus respectables, comme celles d'infirmière, d'institutrice, voire de doctoresse. D'autres noms désignant des tâches prétendument subalternes, une cuisinière, une ouvrière, ni féminines, ni typiquement masculines, m'allaient encore. Mieux, les plus hautes fonctions étatiques se féminisaient, une reine s'avérant parfois davantage que l'épouse d'un roi. Si dans Laclos la Tourvel était Présidente, j'aurais reconnu sans hésitation, même si je ne le souhaitais pas particulièrement, que Mme Royal le fût devenue, avec un sens, en quelque sorte, opposé.

Dans l'émission l'Avventura du 23 janvier dernier, Laure Adler recueillait les propos de Hou Hsiao Hsen : "Si je n'ai pas pu faire carrière dans le milieu du banditisme, c'est parce qu'étant enfant j'avais vraiment beaucoup lu. Des romans, de la littérature classique chinoise, des romans de cape et d'épée, et aussi beaucoup de théâtre. En Chine, le théâtre et les romans ont une influence énorme sur les gens à cause de ce qu'ils véhiculent de la tradition. On y trouve bon nombre de principes moraux, des principes qui tournent autour des notions d'intégrité, piété filiale, droiture et loyauté. Vous finissez inconsciemment par être habité par ces principes et il vous est alors impossible de vous écarter du droit chemin. Je m'en suis rendu compte en faisant mes films."


Au-delà du sens, je conçois que la lecture, de Flaubert autant que de la Comtesse de Ségur, construise avec le milieu un système moral. Plus insidieusement, elle nous imprègne de certaines tournures de langue, donc d'esprit. Le français qu'on pratique porte peut-être, sous-jacentes, ses propres valeurs. Je ne veux pas le culbuter coûte que coûte, mais comprendre comment s'élabore un préjugé. Aujourd'hui encore, un pincement me saisit quand j'entend parler de "la ministre Unetelle" ou quand je lis "une auteure". Je ne me soucie plus beaucoup du sort des femmes, bien assez dégourdies pour s'octroyer les dénominations qu'elles souhaitent et les faire accepter - y compris de moi, au bout du compte ! Je ne me torture pas non plus par purisme exagéré, mais parce que ces mots font résonner chez moi des préjugés, à la teinte XIXème façon vieux rose, délavés, assez grotesques, que j'identifie dorénavant comme tels. Je souffre un peu, ça passera. Je désapprends.

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D'ailleurs, puriste, je ne le suis pas. Je pardonne toujours les écarts de langage, qui en sont des travestissements passagers, non des perversions. Pourquoi m'offusquer de la forme si je comprends le fond ? Je pardonne d'autant plus volontiers ces écarts quand la langue n'est pas la mienne. Ainsi des syllabes 朱泥, 锻泥 ou 紫砂, désignant ces terres dont sont faits, comme le disait astucieusement Flo, nos trucs. Ces mots recouvrent une réalité, concrète dans sa matière, floue quant à ses origines ou son authenticité. La précision de la chose désignée découle du contexte dans lequel on les prononce. De la part de Stéphane, je comprends ce dont il s'agit, en texture et en rendu d'infusion davantage qu'en termes de composition chimique, de filon et de traçabilité. Est-ce grave, puisqu'en bon pratiquant de sa 朱泥, j'expérimente la matière de ce qu'il nomme ? Je lui serais presque reconnaissant de l'hommage dont il flatte mon intelligence, en ne me supposant évidemment pas dupe d'une rareté illusoire.

Pour le reste, ces syllabes, je préférerais volontiers qu'elles ne m'évoquent pas beaucoup plus que du chinois. Car quand je croirai leur faire signifier un sens véritable, je ne pourrai plus envisager de m'y tromper.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

eh, les mots sont de sacrés drôles. Nous pensons qu'ils nous permettent de parler des objets et de les circonscrire : voilà qu'ils deviennent eux-même des objets d'une autre nature, pas moins complexes que ceux qu'ils ne semblaient devoir que refléter "au mieux", et qu'il nous faut trouver d'autres mots pour tenter de les circonscrire et de les refléter. Entrez dans la galerie des glaces, vous vous mettez à exister dans les miroirs et les miroirs des miroirs.

Le plus étonnant dans tout ça, c'est qu'au final on s'y retrouve quand même.

D'où viennent les jolis hippocampes sur la photo ? Je trouve qu'ils vont très bien au texte.

(joli truc en terre :D)

Patrick a dit…

Ah !!! Zizi...

Oui Flo, on s'y retrouve, mais parfois avec difficulté. La fin de mon article peut d'ailleurs prêter à discussion. Je n'ai jamais eu de "zhuni "véritable"" en mains. Peut-être mon référentiel serait-il alors différent, et aurais-je du mal à faire ce chemin dans le vocabulaire en sens inverse... J'aime ton image des miroirs multiples, c'est exactement ce que je voulais dire !

Les hippocampes m'ont été offerts il y a environ une douzaine d'années. Par miracle, ils ont survécu aux déménagements successifs. Je crois qu'il proviennent de la boutique d'un taxidermiste parisien réputé dont j'ai totalement oublié le nom... peu importe. Ils sont en général conservés sous un petit globe. Je les ai mis dans cet article parce qu'il s'agit d'un couple, et que les "préjugés" que je décris s'accordent avec l'image d'animaux morts.

De plus, je trouve qu'ils ont ce côté "embryons desséchés" qui me caractérise assez bien. ;-)

Raphael a dit…

"Je crois qu'il proviennent de la boutique d'un taxidermiste parisien réputé dont j'ai totalement oublié le nom... "

Deyrolle ?

http://www.deyrolle.com/magazine/

Raphael a dit…

Tu aurais pris grand plaisir à faire la connaissance d'une de mes clientes qui se présentait comme "la Sous-Préfète" en mémoire de son gâteux époux qui,
lorsqu'il était plus vert et ne mâchait pas encore ses dents, défendait les intérêts de la République dans le département.

Merde, ça rime !?!

Patrick a dit…

C'est possible, Raphaël, je ne me souviens pas.

Je me souviens en revanche que l'ami qui me les a offerts m'avait averti avant que je n'ouvre le paquet que cela venait de cette maison, récemment par lui découverte. Et qu'il s'agissait des seuls animaux "abordables", donc les plus petits. Je m'étais mis en tête qu'il voulait me faire une blague et que c'était une araignée. J'ai mis un bon quart d'heure avant d'oser ouvrir.

Complètement taré.

Patrick a dit…

Belle "Ode à la Sous-Préfète", Raphaël...
:-)

Raphael a dit…

Visite de Deyrolle indispensable.

Saisissant premier étage avec une batterie d'animaux sauvages mais plus trop...
Interrogés, les employés confient facilement vendre de grosses pièces, du style éléphanteau, à des particuliers logeant dans des appartements de taille modeste !

Imagine le tableau.

Patrick a dit…

Justement, je cherche un hippopotame pour mon entrée ; il paraît que c'est feng shui.
Merci Raphaël !

Anonyme a dit…

Ouais, moi aussi, j'aurais eu du mal avec un couple de mygales, même taxidermisées et immobiles à jamais.

Tu le veux en zhuni ton hippo aussi ?

Anonyme a dit…

"Visite de Deyrolle indispensable.

Saisissant premier étage avec une batterie d'animaux sauvages mais plus trop..."

Ils sont retournés à l'état sauvage il y a 15 jours...

La savane a pris feu... :-(

Patrick a dit…

Effectivement :
http://www.deyrolle.fr/magazine/spip.php?rubrique68
Quelle tristesse.

"Tu le veux en zhuni ton hippo aussi ?"
Bof : si j'en trouvais un en zhuni, ce serait probablement une contrefaçon, donc non.

Raphael a dit…

C'est bien malheureux.
C'est l'assureur qui va se faire empailler maintenant.

Mon bon Christophe, j'espère que notre homard éclaté a survécu...

Quelle beauté !