On aime les vieilles personnes. Si seules, si lentes et si perdues. Il n'y a plus beaucoup de vieux messieurs au Luxembourg tels que les décrivit Genevoix mais Paris regorge de vieilles magnifiques. J'avoue les préférer le soir ou le samedi, à l'heure où les actifs font leurs courses, lorsqu'elles passent en revue les étals, intégralement, sans envie mais l'oeil vif. Leur visage arbore une douceur inexpressive, si inexpressive qu'elle pourraient aussi bien s'effondrer dans la seconde, terrassées par la confusion, que jouir in petto de faire chier le monde. Il ne faut pas s'y tromper : l'étincelle du regard ne laisse aucun doute sur leurs intentions profondes, vengeresses et obstinées. Pendant ce temps, une queue d'une trentaine de personnes s'est formée derrière elles.
"Et ça, qu'est-ce que c'est ?
- Une tarte aux poireaux.
- Non, pas de poireaux. Et ça, qu'est-ce que c'est ?
- C'est fourré à la frangipane avec une pointe de fleur d'oranger.
- Mouais, j'aime pas bien ça, la fleur d'oranger... Et ça, qu'est-ce que c'est ?
- Euh... un croissant."
Dois-je être puni d'avoir ri ? Au fond, j'ai le choix de ne pas faire partie de ce monde qu'elles emmerdent si joliment. Se faire emmerder n'est, la plupart du temps, qu'une attitude mentale. Je préférerais rire avec elles.
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Fatigué par un mois d'insomnies (non Lionel, ce n'est pas uniquement de ta faute !) et par un projet au boulot dont je ne vois pas l'issue, j'ai posé ma journée. J'aime goûter de temps à autre l'illusion de l'oisiveté.
Dans l'idée de peaufiner la déco de mon appartement, je suis allé faire un tour ce matin au BHV. Pour ne pas imiter les retraités, je n'ai pas attendu l'heure de pointe et ai évité la cohue. J'en suis rentré déconfit ; si quelque âme entrepreneuse s'en sent la force, je crois qu'il est temps de révolutionner le marché des crochets d'embrasse.
N'étant pas d'humeur badine, j'ai soigneusement évité le magasin Homme. Toujours prétexte à fou rire, cet endroit vaut son pesant de Bai Hao. La dernière fois, un vendeur s'échinait à me vanter une chemise Kenzo couleur turquoise, il tenait à me voir repartir avec elle, probablement pour que ses reflets verdâtres sur ma peau déjà blême achèvent de me faire ressembler à un cadavre.
Le magasin est organisé par étages, au seuil desquels le thème est annoncé par une accroche saisissante : "Moi et les créateurs", "Moi et mon week-end", "Moi et mon costume", "Moi et mon jean"... La première fois, je n'ai pas compris de quoi il s'agissait : le jean de qui ? S. et moi fantasmons sur l'existence d'autres étages ("Moi et ma connerie") dont l'accès serait réservé aux meilleurs clients.
Les marchands n'ont en tout cas pas fini de flatter l'égocentrisme ambiant. Pourtant, n'est-ce pas faire preuve d'un égocentrisme plus acharné encore que de ne pas se laisser séduire, de refuser d'entrer dans le jeu et de se croire au-dessus d'un tout ça dépréciatif et indéterminé ? Déjà, l'égotisme du blogueur peut faire sourire. Réjouissons-nous d'une société où coexistent atrabilaires et suiveurs, on n'a jamais connu confort aussi sûr. Et maintenant, grâce à l'énergie d'un président-coq, les chiens sont les garants du bien-être tant des ours que des moutons, et assurent la sécurité du règne animal - le bonheur de tout le monde.
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Le Monde, qui a décidé de ne pas nous épargner l'innommable. La page 6 de l'édition datée dimanche-lundi m'a laissé sans voix. Sur le cliché en haut de page, des irakiens, à la suite d'un attentat, se pressent autour de débris humains pour les photographier. On voit clairement, au premier plan sur le sol, une tête, une tête humaine séparée de son corps. J'ignore si l'horreur vient davantage de ces restes sanglants que de l'empressement mis par les témoins à les photographier. Je n'ai pas lu l'article. On me dira que l'abomination est dans la guerre, dans les attentats-suicides, dans la manipulation de ces femmes-bombes par les intégristes, non dans la photo elle-même. Peut-être. Je sais seulement qu'en allant voir Frontière(s), je devine à quoi m'attendre ; en ouvrant le journal, je me confronte aux repères brouillés d'un monde auquel il m'est cette fois impossible de me soustraire.
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Je savais ce qu'il me fallait aujourd'hui : la Beauté Orientale Parfaite (en tout point) de Teamasters. Hélas, j'ai encore oublié de préciser à Stéphane d'indiquer le code de l'immeuble sur l'adresse destinataire. Ma commande a fait samedi l'aller-retour depuis l'agence du transporteur. Maintenant, je ne la recevrai pas avant demain soir. Elle mettra plus de temps à m'arriver de Rungis qu'elle n'en a mis à atteindre la France depuis Taïwan.
Qu'à cela ne tienne, je me console avec un Bai Ye Dan Cong n°3.
16 commentaires:
Je te trouve cruel avec les vieilles dames. Mais pourquoi les "vieux" seraient-ils censés sortir à des heures à l'écart ? Nous retardent-ils, ou tout simplement ont-ils un peu d'avance sur ce que nous avons peur d'être ? Glissons-nous hors du monde à mesure que le temps glisse sur nous ? Cette vieille dame qui passe tant de temps à demander (les poireaux, le croissant), je crois qu'elle veut parler avec quelqu'un, tout simplement. Devrait-elle "ne pas être là" ? Et ne devons-nous pas accorder un surcroît de patience, de gentillesse, d'attention, à ceux qui ne sont pas si "autres" que nous, et que nous serons bien un jour ? Moi je l'aime bien, ta vieille dame, je préfère qu'elle soit là, qu'est-ce que je gagnerais en réalité en "gagnant" 5 minutes si elle ne posait pas toutes ces questions ? Est-ce que tu ne te sens pas tout de même un peu de tendresse pour elle ? oui, je crois, allez, je relis le début de ton paragraphe et je crois que oui, je retire ce que j'ai dit, pas de cruauté.
D'ailleurs, nous tes commentateurs, ne sommes-nous pas d'une certaine manière ...tes vieilles dames ? :) Et toi blogueur, n'es-tu pas un peu la nôtre ?
Riche idée que cette journée off, elle permet un billet avec plein de choses dedans :)
Le Bai Ye Dan Cong 3, c'est comment ? (eh, j'ai prévenu, je suis ici en vieille dame :D )
Flo, je ne pense pas être cruel à l'endroit de quiconque... surtout pas à l'endroit de la vieille dame. Certes, mon premier mouvement fut un mouvement d'humeur - mais finalement, et c'est ce que je dis dans cet article, je préfère être du côté de la vieille dame, qui veut probablement voir "du monde" comme tu l'imagines, que du côté "du monde" qu'elle emmerde ! J'ai relu le paragraphe, je le trouve clair dans ce sens...
J'aime assez le Bai Ye : plus fruit jaune, mangue et pêche, qu'agrumes tels que je les rencontre dans le Milan Xiang par exemple. Mais je suis un piètre dégustateur - c'est pour cela que je ne propose pas de notes de dégustation sur ce blog pour le moment. J'ai encore du mal à sortir de la dialectique du "j'aime / je n'aime pas". Là, j'aime !
Je reviens sur le Bai Ye : les deux infusions que je viens de faire étaient très nettement litchi, avec une acidité d'airelles. Comme quoi, je suis effectivement archi-nul.
A nouveau le Bai Ye, en direct live : j'ai encore l'image d'une pêche qui s'impose à mon esprit en buvant l'infusion nouvelle. Avec du miel de tilleul. Complexe tant au nez qu'en bouche, et surtout une longueur peu commune. Plus ça va, plus j'aime, en fait. Mais je conserve une inclination pour le Yulan Xiang...
oui, d'ailleurs j'ai retiré, pour la cruauté ;)
et puis dans ce quotidien où tout va vite, où tout est formaté pour l'adulte pas vieux, pas handicapé, pas muni d'une poussette, etc..., les gens sont "séparés", finalement quand on éprouve de l'agacement c'est cette séparation qui suscite l'agacement.
Ben non, pourquoi archi-nul ? En tant que buveur, on ne raconte que ses sensations, c'est déjà énorme. Justement, ce qui est bien avec un thé complexe, c'est que au fil du temps qu'on passe avec lui on en a des facettes différentes --enfin, je dois dire que j'aurais du mal à produire une note de dégustation moi aussi.vb
[oups --"vb" enfait c'est la fin du captcha, il y a eu un retour de souris dans le champ du commentaire]
ton dernier commentaire et le mien se sont croisés. Quoi archi-nul ? no kidding :))
Allons allons, Flo, je suis persuadé que tu as tout le potentiel d'une dégustatrice hors pair ; tu nous l'as prouvé avec ton commentaire sur le blog de Béjita (13 janvier, Guei Fei Cha) !
Très juste ce que tu dis sur la "séparation" : l'impression d'emblée d'avoir affaire à des extra-terrestres horripile - alors qu'ils (ou elles) sont tout aussi terrestres que toi et moi... Enfin que moi ; toi, après tout, je n'en sais rien. ;-)
aaah, alors là tu vas rire : je viens de me faire le dan cong de Terre de Chine. Bon, eh bien tu vois, je n'avais pas mis de notion sur le "tilleul" : il me sort maintenant bien plus net. Pas nommé, mal aperçu --où l'inverse, va savoir. Le jeu est maintenant de comprendre où il est exactement.
Connais-tu Ogawa ? Elle a écrit un petit récit qui parle -quoique d'une toute autre manière que ce que nous faisons là- de séparation : L'Annulaire. C'est paru en Babel, c'est court (mais dense, en fait si on aime on se le relit facilement plusieurs fois), c'est très bien. Et puis ça pourrait te plaire, on retrouve cette façon de ne pas faire de démonstration qui t'a interessée dans les films dont tu parlais.
Encore un auteur que je n'ai pas lu, Flo. C'est drôle, Calyste, du blog Potomac, l'évoquait il y a quelques jours. Eh benh ! encore une référence à noter...
Pour le tilleul, j'ai un peu triché. J'ai mangé une cuillerée de ce miel que j'avais à disposition en début d'après-midi. Et pendant que je buvais le thé, des heures plus tard, quelque chose en est revenu. J'ai cru que c'était le miel que j'avais avalé, j'ai ouvert le pot : c'était bien le thé, mais il y avait un rappel frappant... Pour les fruits, je suis moins dans le coup ; ce n'est pas vraiment la saison des pêches.
Le tilleul est bien là pourtant, mais comme il y a de l'acidulé, il est "fondu" ; bejita parlait à un moment donné de fleur de sureau, il y a de ça aussi (le tilleul et la fleur desureau on quelque chose en commun). Je trouve les arômes fruités assez difficiles à dire, souvent : d'abord, un fruit c'est déjà une fugue d'aromes, pas un seul arôme ; ensuite, selon son âge, selon la catégorie (reinette, akane, golden, fuji, etc... pour les pommes par exemple), ce n'est pas la même chose. Prends le raisin sec : si tu manges un raisin de corinthe ou un raisin d'Iran, celui d'Iran (qui est vert) est plus proche de la pomme reinette que du "lourd sucré" du raisin sec noir. Alors quand on dit "raisin sec" en parlant d'un thé, ça veut dire autre chose, il y a un concept aromatique "raisin de thé X", c'est un spécimen.
En fait, le miel est tombé à pic pour toi, il a fait révélateur !
ah, Ogawa, eh bien je vais te dire, je suis fan, j'ai tout lu de ce qui a été traduit en français, pour commencer je crois que L'Annulaire est très intéressant, et si cela te plaît il sera tout aussi intéressant de lire Le Musée du Silence, qui est comme une expansion de L'Annulaire (mais ce n'en est pas la suite du tout). La suite de nouvelles Tristes Revanches est fascinante à mon sens, parce que les récits y sont chaînés, comme en hypertexte, mais je ne t'en dis pas plus parce que sinon je me mettrais à te raconter. Si tu préfères aborder per les récits courts, elle en a écrit pas mal. Elle est éditée chez Actes Sud, et bon nombre de ses livres sont parus en Babel. Ah, lis aussi La Petite Pièce Hexagonale, ça, ça te plaira, c'est quasiment sûr.
Bon, ton Ogawa me met autant l'eau à la bouche que ton "raisin de thé" - très belle expression d'ailleurs ! C'est drôle, "raisin de thé" a dans mon esprit quelque chose d'inédit et de contradictoire, un oxymoron : le raisin est tellement associé au vin. Mais je dis cela entre parenthèses... Ta remarque sur le goût des fruits est très pertinente.
Presque RAV, mais je viens de remarquer un truc avec mon Dan Cong : bon, il faut dire que je le fais en zhong. il infuse dans un, je le verse ans un autre par dessus lequel je place le couvercle pour attendre qu'il ne soit plus trop chaud mais sans que la surface refroidisse, parce que les températures étagées, c'est pas terrible. Après avoir bu, le couvercle du zhong sent le pur sucre, comme la barbe à papa, mais en meilleur. La prochaine fois que je me ferai Mi Lan Xiang 2, je snifferai le couvercle, pour voir. (RAV, si, quand même, ton billet m'a donné l'idée de me faire du dan cong.)
Il y a quand même un thé sur lequel j'avais tout de suite pensé à un seul fruit : Mi Lan Xiang 1 et le pamplemousse.
As-tu une théière spécifique pour les dan cong ? si oui, de quel type ?
Effectivement, le Milan Xiang 1 est assez monocorde sur le pamplemousse, c'est flagrant. Mon ami S. aime beaucoup et c'est celui qu'il m'avait demandé le jour de la laundrette. Ce jour-là, il faisait beau, et l'acidité du pamplemousse avait un côté très rafraîchissant.
En fait, à mon dernier passage à la M3T (j'y vais le moins possible pour ne pas me laisser tenter, c'est ahurissant), j'ai acheté une théière spécifique pour les Dan Cong. Une terre assez dure pour une théière au rendu précis. La Maison semble avoir l'habitude de traiter avec le potier en question. Et Gilles m'avait proposé le Milan Xiang 1 pour commencer à l'ouvrir. Je suppose que Philippe possède une théière semblable - je crois me souvenir qu'il évoquait dans un article une théière "spécifique pour Dan Cong" qu'il consacrait maintenant à des Pu Er jeunes, peut-être est-ce le même genre de théière.
Je vais ajouter une photo sur ma Poire...
Je suis d'accord avec Flo: j'aime trop les vieilles dames pour ne pas leur pardonner d'être parfois insupportables (cf. ma mère), et je la rejoins totalement sur les romans d'Ogawa.
Quant à vos commentaires gustatifs: du grand art!
Pour la théière, ce doit être ce genre-là, la deuxième sur la page de Philippe dont j'indique le lien ci-dessous, mais en contenance supérieure - et je ne suis pas particulièrement frappé par la légèreté des parois de la mienne, quoi que l'infusion, elle, témoigne effectivement d'une légèreté particulière...
http://lagalettedethe.blogspot.com/2007/10/trois-petites-thires.html
Calyste : oui, je leur pardonne aussi... mais la différence, c'est que pour ma part, je dois encore me faire un peu violence et prendre du recul par rapport à mon mouvement premier !
Bonne nuit à tous les deux...
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