mardi 12 février 2008

"Les Sept dernières paroles du Christ en croix" - Joseph Haydn

Au commencement, Haydn reçut une commande de José Saenz de Santamaria - un hurluberlu de Cadix, grand rigolo devant l'Eternel, désireux d'animer une rave du vendredi soir dans sa cave (l'église souterraine de Santa Cueva, avec murs et piliers tendus de noir, éclairage minimal, ambiance gothique). Haydn expliqua lui-même que "ce ne fut pas simple de faire se suivre les pièces demandées, sept adagios qui devaient avoir chacun une durée de dix minutes environ, sans lasser l'auditeur". Il se permit une tricherie sur les durées. L'histoire ne dit pas si le commanditaire et ses invités s'en rendirent compte. Ni même s'ils furent satisfait ; Haydn, lui, si.
De la version symphonique originale, il extraya aussitôt une version pour quatuor à cordes, ainsi qu'une version pour piano. Toutes ces orchestrations plus ou moins étoffées datent, je suppose, d'un temps où le timbre ne vampirisait pas la musique et s'inclinait encore devant l'harmonie. Un obscur chanoine bavarois osa superposer un texte de son cru à la musique du maître. Il fallait s'approprier cette idée de génie : une nouvelle version estampillée Haydn & Swieten, pour choeur et orchestre, avec texte et musique à peine remaniés, fut proposée près de quinze ans après le premier jet.

Quitte à choisir, gardons l'oratorio. Le texte épouse épatamment les lignes mélodiques. Peut-on croire qu'Haydn n'y songeait pas au moment de composer les graves sonates qu'on lui commandait ? Je le soupçonne d'avoir triché encore une fois, et différé la parution de l'oeuvre complète pour ménager ses effets, in extremis. Les autres versions me semblent manquer de quelque chose... d'un choeur, en fait. Plus intérieures, moins démonstratives et dramatiques, sans la densité de la voix humaine, elles paraissent lentes, bien plus lentes, aussi.

A la majestueuse première introduction, les oreilles doivent se tendre, elle est là pour ça. Avant chaque sonate, le choeur profère a cappella la parole du Christ évoquée par la pièce annoncée. Ces mesures parfaites, d'inspiration grégorienne, absolument parfaites, me suffiraient presque. Dans les sonates qui s'égrènent, les musiciens - je veux dire ceux qui ont reçu une véritable instruction musicale - ont un orgasme à chaque changement de tonalité. Pour les autres, dont je suis, toute l'oeuvre présente le paradoxe d'être à la fois continuellement homogène et multiple. Par où la pénétrer ? Homogène dans ses mouvements (grave, largo, adagio...), multiple dans ses caractères. N'empêche : la tension, si elle s'installe, jouant des chromatismes, des pizzicati et des altérations qui frottent, se résout souvent sur un majeur plein d'espoir. Et on entend rarement de si beaux silences.

J'ai testé chez un ami l'enregistrement d'Accentus. Il m'a paru trop lyrique, en particulier dans les soli. Ces passages, mis à part quelques traits de soprano, relèvent du "petit choeur" davantage que des arias. La texture s'y prolonge, ils permettent d'élargir la palette des nuances. Je me contente pour le moment de la version d'Harnoncourt, le choeur Arnold Schönberg m'y paraît un modèle de fondu et de souplesse. Dommage qu'on ne puisse en dire autant de la direction orchestrale, trop appuyée, pleine d'intentions.

Parmi les autres déclinaisons, j'ai eu l'occasion d'entendre l'enregistrement du Quatuor Ysaÿe dont l'intensité m'a séduit d'emblée - mais ouvrir mon bahut, fouiller dans mes papiers, trouver la notice de mon lecteur, programmer les plages pour zapper les textes de Michel Serres... non, c'est trop d'ennui. Quant à la version de Savall (celle de 1990 - il semble en exister une autre enregistrée en 2006), j'ai le vague souvenir d'une manière étrange d'accentuer les fins de phrases... mais en général, au cinquième accord de l'introduction, je pique du nez. Et n'ouvre l'oeil qu'au saisissant tremblement de terre final, immanquable.

J'apprécierais tout conseil d'une interprétation, dense et inspirée, de cet oratorio...

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La journée a filé comme un pudding. De ces journées d'exaltation où une erreur découverte dans le travail de la veille oblige à le reprendre dans son intégralité. Je renifle, les sinus embourbés. Et dire que ce nez, malgré stalactites et congestion, devra bientôt faire résonner ses harmoniques parmi d'autres trompettes-ténors, pour chanter Haydn avant le temps pascal. 

Hélas, je suis sûr que malgré notre application, nous n'en proposerons pas une formulation révolutionnaire.

9 commentaires:

Philippe a dit…

Savall 1 est supérieure selon moi car le jeu est plus nerveux (on pique moins vite du nez !) et plus proche du '"texte". Néanmoins Savall 2 est plus homogène avec un son plus lisse avec des phrases en effet moins accentuées comme tu l'as souligné.

Finalement j'ai gardé Savall 2 car l'objet-disque est plus joli avec, comme toujours chez Alia Vox, une superbe présentation et un joli livret.

Raphael a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Raphael a dit…

J'aime bien la vision ramassée pour quatuor à cordes, plus immédiate et moins appesantie que celle pour orchestre malgré les qualité d'Harnoncourt, par exemple.
Je vous recommande Le Quatuor Mosaïque qui a laissé au disque une fort belle version avec notamment un final étourdissant d'apreté.
La prise de son est, en outre, un modèle de présence.

Philippe a dit…

Le Quatuor Mosaïque avec Christophe Coin-Coin ! Pas mal en effet, logique c'est un musicien de la bande à Jordi Savall. Très bon gambiste également mais un personnage relativement austère d'où des interprétations parfois dans le même esprit...

Ahh les prises de son du label Astrée... Un bonheur pour les systèmes HIFI audiophiles !!

Patrick a dit…

Philippe, dans le Savall #1, le tempo vraiment trop lent de l'introduction me dissuade complètement d'aller plus loin. Je m'y suis forcé une seule fois, sans grand plaisir. Et ce que tu dis de la version #2 ne m'incite pas vraiment à pousser dans cette direction. "Plus lisse"... plus emmerdant, quoi ! ;-)

Raphaël, je vais peut-être suivre ton avis et aller voir du côté des cordes et de Mosaïque. Je pensais à toi en rédigeant ce post ; tu avais rebondi sur la référence à cette oeuvre dans un article précédent, j'espérais bien que tu aurais quelque chose à conseiller.

Philippe a dit…

>> ""Plus lisse"... plus emmerdant, quoi ! ;-)"

En même temps, c'est l'oeuvre qui assez emmerdante, faut oser l'avouer. Enfin moi j'ai toujours eu un peu de mal et avec n'importe quelle version d'ailleurs. Dans le genre musique "méditative" pour ensemble de cordes, écoute les Lachrymae de John Dowland ou les Fantaisies pour Viole de Henry Purcell, c'est autre chose !!

Papa Haydn... un peu trop pèpère à mon goût ;-)

Raphael a dit…

Patrick,
Je ne sais pas si la quarantaine m'emplit de sagesse mais j'ai de plus en plus de mal avec les oeuvres gigantesques surtout lorsqu'elles sont interprétées en cinémascope.
Par exemple, je suis incapable de tenir une Missa Solemnis ou une Passion "old way" façon Klemperer et autres.
Alors, lorsqu'une alternative plus concentrée se présente...
Avec les 7 Dernières Paroles, on a la chance de pouvoir choisir, pareil pour les Danses Hongroises au piano. Faut pas se géner.

Raphael a dit…

"Papa Haydn... un peu trop pèpère à mon goût ;-)"

Phil,
Fais péter les symphonies londoniennes par G.Szell, tu vas voir le papy ...

Patrick a dit…

Philippe : Chiant, Haydn ?.. Benh oui, c'est clair. Je crois que mon post le laisse deviner. Néanmoins, je finis toujours par m'attacher aux oeuvres auxquelles nous soumet notre chef. Et j'aimerais trouver un plaisir à écouter ces "Paroles" au moins égal à celui que j'ai à les chanter mal...

En attendant : Purcell, j'y cours. Dowland, je note, connais pas. "Missa Solemnis", je zappe volontiers aussi !