dimanche 24 février 2008

"L'Amour de la vie" - Jack London

C'est par cette nouvelle que je suis entré dans l'œuvre de London il y a trois ans. Je n'en suis pas sorti. Dans la production frénétique de London, diverse et inégale, je continue à piocher. Je saisis un tome chez un libraire ou dans ma bibliothèque, vite le repose ou le dévore, selon l'humeur. Mais j'en reviens toujours à ce premier contact, ce premier et terrible amour.

De ce que j'en constate, on range ce recueil en "littérature jeunesse". A douze ans, je me gavais, chou après chou, des plus écœurants saint-honorés du nouveau roman, et du pire de Duras. Comme on change ! Rien à voir avec ces livres affamés d'un London avide de tout, d'expériences et de littérature. Les récits d'aventure ne m'évoquaient rien ; je n'étais précisément pas d'un tempérament bien aventureux. Ai-je déjà eu faim ? Et à cet âge je n'avais jamais eu à me battre pour quoi que ce soit. Je m'en réjouis, mais qu'aurais-je pu comprendre de ces histoires de lutte et de survie ? D'ailleurs, je les aurais jugées si éloignées de mon idée tiède et préconçue de l'existence, voire du bon goût littéraire, que je les aurais confondues avec le genre fantastique, que j'abhorrais. Décidément : comme on change...

Je suis arrivé chez London par un chemin tortueux : par le cinéma, Jean-Pierre Denis et sa "Petite Chartreuse" adaptée du roman de Pierre Péju. Je ne me souviens pas d'une référence à London dans le roman, qui m'a laissé une impression moins forte que le film. L'histoire un peu convenue, admirablement servie par les acteurs et la caméra précise de J.-P. Denis, en ressortait plus émouvante et contrastée. Le libraire, incarné par Olivier Gourmet, dont la silhouette même suffit à traduire l'hébétement de la douleur (comment fait-il ?), lit dans une séquence du film "Les Enfants du froid". Je suis parti en quête de cet ouvrage dès la fin de la projection. C'est pourtant par "L'Amour de la vie" que j'ai commencé. Le titre m'en aura sauté au visage. Maintenant, en imagination, quand je lis London, je prête à tout personnage le physique d'Olivier Gourmet, tour à tour puissant ou amaigri, conquérant, pathétique.

Fuir l'hiver. Marcher. Crever de faim. Se voir dans l'oeil du loup. Un loup tout aussi malade que l'homme sans nom. Tant est dit en une histoire ramassée. La quatrième de couverture indique "un livre simple, robuste, vigoureux". La simplicité du champ lexical traduit efficacement l'essentiel quand il manque, les affres de la faim et la douleur. Robuste et vigoureux... Ces mots me paraissent trop forts, trop "pleins de sève" pour caractériser les derniers soubresauts d'un instinct dérisoire, ou la manière sèche et directe de London pour les décrire. D'ailleurs, cet instinct touche à l'absurde, et dans cette nouvelle il n'est pas question d'amour. Juste d'un ahurissant "ça ne veut pas mourir" à l'intérieur de soi.

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"Il défit son fardeau et son premier soin fut de compter ses allumettes : il y en avait soixante-sept ; il les compta trois fois pour être sûr. Il les divisa en plusieurs lots, les enveloppant dans du papier huilé, mettant un paquet dans sa blague à tabac vide, un autre dans la coiffe de son chapeau déformé, un troisième sous sa chemise contre sa poitrine : quand ce fut finit, une terreur le prit ; il défit les trois paquets et les compta à nouveau. Il y en avait encore soixante-sept."


2 commentaires:

LIO a dit…

Sortir Monsieur London du rayon littérature pour enfant soulève un nouvel intérêt pour ce bouffeur de vie. Connais-tu cette anecdote à son sujet...

Dans le tourbillon que fût sa vie avant qu'il connaisse le succès, il décida d'envoyer à différents canards des récits narrant ses aventures hyperboréennes, dans l'espoir de gagner trois francs six sous. Il a essuyé environ trois cents refus (de quoi décourager n'importe qui, sauf Monsieur Jack) avant son premier oui, sa première publication.

Une belle leçon...

Patrick a dit…

Oui, l'autodidacte London était d'une opiniâtreté exemplaire. On peut aussi conseiller Martin Eden, roman du désenchantement de London face au monde distingué, prétendument cultivé, des "hautes classes", dont il dénonce l'individualisme et la fausseté, en particulier en matière de jugement littéraire...