lundi 30 mars 2009

"Tokyo Sonata" - Kiyoshi Kurosawa (La Fin du Monde, 1)

Les effondrements sont photogéniques. Le spectacle de la déchéance s'accompagne toujours d'une bonne dose de réjouissance. De l'Orestie à Hamlet, en passant par les Buddenbrook pour une version bourgeoise du naufrage, le drame éclate gaillardement : rien ne tient, rien nulle part ne perdure. Quelle joie ! Quelle beauté ! À travers le récit de ces destins individuels, ce sont autant de mondes qu'on prend plaisir à voir s'écrouler

Par la fiction on exorcise, nous nous maintenons à l'abri. Pourtant le goût du drame ressemble à celui du danger, certains artistes nous projettent encore un peu plus loin dans ces histoires. Par exemple, depuis Jean-Claude Romand nous voyions nos voisins comme des pervers narcissiques en puissance ; Emmanuel Carrère aura pointé le Romand sous notre toit, en chacun de nous. On frissonne autant d'aise que de terreur et au bord de la panique, on compulse les manuels, on se demande comment consolider nos fondations pour tenir un peu longtemps et ne pas s'effondrer avant notre tour. Il faut tout rebâtir, reprendre à zéro. 

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Kiyoshi Kurosawa avait déjà matérialisé quantité de fantômes dans mon dos, au-dessus de ma tête, dans et hors du cadre. Depuis que j'ai vu "Kaïro" je ne pénètre plus dans une pièce avec autant d'insouciance ; le geste même d'ouvrir une porte n'est plus anodin. Avec son dernier film, il m'aura montré comme dans nos sociétés l'épouvante n'est pas toujours métaphorique. À l'image d'un cinéaste qui, dans un Japon en proie à une crise aggravée, interroge ses bases en s'extrayant d'un genre, ces personnages doivent tout rebâtir d'une famille à vau-l'eau. Papa, perclus de honte, ne cesse de s'abaisser à vouloir sauver les apparences ; le fils aîné préfère la fuite et s'illusionne sur ses chances de trouver ailleurs une hypothétique signification à l'existence ; maman s'abîme dans la solitude, sans personne pour l'aider à se relever ; le cadet émousse son sens de la justice à l'épreuve du réel et cultive un don en secret ; pour chacun de ces personnages, les certitudes s'effritent et dévoilent un désert moral assourdissant. Je ressentais leur détresse comme aux heures d'ennui sur les plages de mon enfance, à ruminer et à passer du sable d'une main dans l'autre : de la matière de ce désert j'ai reconnu bien des grains.

Pour lisser quelques redondances, le film bénéficierait d'être amputé d'une dizaine de minutes. Le charme opère cependant et démontre le pouvoir absolu qu'un cinéaste peut conquérir sur le spectateur en misant sur l'humour d'une part, et sur la plus simple économie de moyens...

Dans la dernière séquence, le petit Kenji passe le concours d'entrée à une école de musique. Au lieu de tirer la corde d'un sentimentalisme appuyé, Kiyoshi Kurosawa s'efface derrière la musique de Debussy, derrière les mouvements ondoyants d'une tenture à la fenêtre, et nous offre une scène rédemptrice étrangement réaliste. L'enfant a fini de jouer. Il se lève, contourne le piano et s'incline devant le jury en un salut un peu gauche. Il se retourne pour signer un registre au fond de la salle. Ses parents le rejoignent. Le père doucement pose une main sur l'épaule de son fils, qui enfin ne ploie pas ni ne se dérobe. Les trois s'en vont sous le regard d'une assistance médusée, une foule qui se tord le cou à suivre des yeux cette famille fantomatique, dont le rejeton les aura tous confondus par un talent monstrueux.

1 commentaire:

David a dit…

Kiyoshi Kurosawa est certainement le réalisateur contemporain que je préfère. Content de voir qu'il y a d'autres fans ;-)