lundi 18 août 2008

Promenade

Cette semaine ne m'aura laissé qu'un vague avant-goût de vacances. Aujourd'hui, il n'y paraît plus rien : le même bus, les mêmes visages. Je dois faire l'effort de me souvenir. Il y a trois jours à peine, je sirotais ma bière sous les arcades ou un Guiraud après le bain. Ainsi, pendant que certains infusaient les rochers, je gravissais celui qui, un temps, étaya mon arbre généalogique.

Qu'est-ce qui nous ramène là ? Je me demande s'il existe, ce lien invisible qui s'exprimerait doucement dans la chair. Pourquoi devrais-je reconnaître ce qu'avant moi d'autres ont vu, et chez eux me sentir chez moi ? 

La maison n'est plus habitée de manière continue depuis trois générations. Malgré les travaux entrepris, j'y retrouve l'odeur de la poussière, celle des vieux papiers, l'exhalaison des parquets. J'y retrouve aussi les mêmes sons : la comtoise de la cuisine ; le piano désaccordé, avec cette touche, un fa, qui coince et sur laquelle j'appuie quand même ; l'horloge de Monsieur le Curé, visible depuis tout point du jardin, qui fait tinter sa cloche d'un vol imprécis, l'Angélus à 19 heures passées. Je connais cela, mais aussi bien d'autres choses, la rosace de la Cathédrale d'Amiens et les fables de La Fontaine... En dix ans, j'ai déménagé sept fois : ça va, ça vient. De à chez moi, le chemin n'est pas tout tracé.

De cette maison, on s'enfuit. Les hommes surtout. L'un a préféré finir ses jours dans un monastère du Bessin, l'autre a filé en Afrique du Nord. Depuis, la bâtisse a rapetissé en même temps que la bisaïeule, jusqu'à sa mort à elle, qui se rêvait Guermantes quand elle n'était qu'une Bovary. On l'a aérée longtemps, décrépite sous les toiles d'araignées, avec ses papiers peints décollés, mal fichue, sans circulation possible avec ses alignements, les pièces l'une derrière l'autre, sans dégagement. Mon père lui offre une seconde vie, elle aurait tort de s'en priver. Quant à nous, quelle perspective lui offrirons-nous dans nos existences ? Et quelle nouvelle beauté ensemble devrons-nous lui inventer ?

Cette année, guidé par S. dans des balades de plusieurs heures au milieu des vignes, des champs de maïs et d'asperges, des prunelaies, des coudraies, j'ai découvert la vallée depuis des points de vue inédits. Et à la considérer sous tous les angles, je me dis qu'au fond, n'était-ce sa situation sur le rempart, sa galerie dominant la campagne, à la lisière du bourg, juste au bord ; n'était-ce son jardin, avec sa pergola de béton si laide et amusante, son puisard et ses rosiers ; n'était-ce la pierre toujours fraîche du salon ; si, en réalité, je n'aimais pas la maison pour elle-même, je n'éprouverais pas de plaisir à m'y rendre autre que celui d'y retrouver ses hôtes d'été. Or je l'aime : voilà pour moi.


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Le retour fut éprouvant. Sur la plateforme, entre les deux wagons d'un tortillard bondé, je me contorsionnais pour ne pas écraser la queue d'un chien tout en cherchant à m'accrocher, à une barre, à une porte. On s'asseyait où l'on pouvait ; une jeune femme a passé le trajet sur la cuvette des toilettes. Elle a tripoté longtemps les plaies que ses piercings avaient laissées partout sur son visage. Au maître du chien, qui portait cheveux longs et catogan, elle expliqua que son seul rêve était de vivre dans un camion, à la campagne, pas loin de chez sa mère pour pouvoir y manger, au bord d'un lac près d'un certain champ de maïs. 

Chez maman... Elle m'a fait rire, à triturer ses rougeurs et à compter sur sa mère pour la nourrir. Ils sont bien ténus, les liens qui nous rappellent au pays. Il ne s'agit pas d'y construire sa vie, mais de trouver facilement à y manger. Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? Les choses sont parfois si simples...

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