lundi 7 juillet 2008

Funny Pu au Bizan

Entre deux plats d'un kaiseki parfait, son parfum l'a trahie. Elle est arrivée dans son écrin de laque noire et sa présence m'a tout de suite interloqué. Jusque là, avant de goûter, je me disais : "bien sûr...", jouais les blasés et ne m'extasiais qu'après avoir porté le mets en bouche. Alors, au milieu de ce repas d'un classicisme impeccable, pour moi révolutionnaire sans sembler y toucher, la franche surprise émergea là où je l'attendais le moins.

Si c'est l'odeur du miso, je n'en avais jamais goûté. Pas grand-chose à voir avec les bouillons insipides servis d'habitude, dans lesquels on pêche les dés de tofu parmi les algues qui s'agrippent aux baguettes. Là, le parfum, d'une force peu commune, me paraissait résolument capiteux. Et ce n'était pas l'effet du saké à la prune bu en apéritif, ni du bordeaux blanc qui glissait doux sur les sushis... J'ai soulevé le couvercle du bol et l'ai porté à mon nez, comme celui d'un zhong, avec l'impression de humer un sheng en train d'infuser. Aux notes de cuir et de marée s'ajoutait un petit quelque chose d'indéfinissable qui, sur le coup, me ravissait.

Pour en avoir le cœur net, j'ai le surlendemain déballé la Yi Wu 2003 de Teamasters qui sommeillait depuis des mois dans mon tiroir. J'ai été surpris par la douceur, la suavité, le fruité d'abricot de sa liqueur. Sa verdeur n'avait rien d'agressif, son velouté et sa fraîcheur se prolongèrent joliment dans les fruits que nous avons mangés peu après. À cause de ma frilosité, je l'avais même trop peu dosée. Qui l'aurait cru ? Serais-je en train de me transformer en amateur de Sheng ? (Ou en Harris Glenn Milstead ?...)

En tout cas, j'ai constaté que cela ne ressemblait pas à la soupe du vendredi. Qu'importe ! j'ai vérifié que le plaisir du Pu Er ne m'était pas refusé, multipliant par deux mes sources de satisfaction du week-end : un excellent thé, précédé d'une soupe étonnante au Bizan. Dans ce restaurant, j'aurai en outre découvert comme l'art culinaire peut transfigurer l'idée même du beignet de crevettes, qui s'avère parfois autre chose qu'une boulette saturée de friture rance. J'en témoigne.

Entre ces deux épisodes, au cours d'un autre dîner fait de veau et de carottes à la crème fondantes et délicieuses, la conversation porta un moment sur l'éducation du goût. Le goût demeure pour moi une chose si mystérieuse, son éducation me paraît relever du miracle ou de l'imposture, au mieux de la chance. Sans toujours pouvoir l'expliquer, je désigne tel plat, telle préparation comme "meilleure" que telle autre, mais me montre en même temps capable d'apprécier les choses les plus insensées. Sans les opposer, je perçois dans le "c'est bon" et le "j'aime" une différence de nature. Peut-être trouve-t-on bon en esprit quand on aime avec le corps... En matière de thés (et de misoshiru !), cet écart, en revanche, s'est chez moi totalement résorbé.

1 commentaire:

David a dit…

Ah ! Le Bizan..

Figures-toi que je fais le tour des bons resto japonais avec des amis, en prenant notre temps, et nous avons un critère imparable pour reconnaitre la crème de la crème : la soupe miso !

L'heureuse coïncidence est que je viens de recevoir un échantillon de Yiwu de Stéphane... Je verrai bien quand je le goûterai si je perçois des points communs.