lundi 27 octobre 2008

"Le Crime est notre affaire" - Pascal Thomas

Mais nous le savions, qu'elle est formidable ! Qui l'ignore encore ? Parfois inquiétante, touchante assurément, la voici décidée à se divertir. Je m'ennuyais comme elle, sans personne pour repasser mon kilt. Alors elle s'amuse, libre à moi de la suivre dans sa lubie. Elle s'unit si bien à la folie de son metteur en scène qu'elle surjoue toujours juste, au diapason de ses partenaires dans un film dont les exubérances de jeu ne forment que la première touche de charme rétro. Claude Rich mange sa soupe comme personne ; ouais, de lui non plus on n'en attend pas moins. Au final, seul Pascal Thomas peut se permettre d'en faire autant sans ridicule et révéler le potentiel Marylin d'un Dussolier qui, à la façon d'un Pierre Richard diablement sexy, m'a fait rire comme je n'avais pas ri depuis belle lurette.

L'histoire ? Aucune importance. Toutes les adaptations d'Agatha Christie se brouillent dans ma tête. Ustinov, Morel, Dussolier, qui jouait dans quoi ? filmé par qui ? Depuis longtemps, je ne cherche même plus à deviner le coupable. Quel intérêt à vouloir prendre l'enquêteur de vitesse ? Des ressorts abracadabrants, un imbroglio de passions et de mobiles rendent la tâche à peu près impossible - inutile donc. Qu'une telle ait tué plutôt qu'un tel me laisse aussi froid que le macchabée. Vous le/la soupçonniez ? Finalement pas ? Bah ! ce pouvait aussi bien être le frère ou la petite-nièce, alors... Qu'on nous serve les ingrédients du genre, soit ; mais c'est le sel qu'on y ajoute qui exhausse le plaisir.

Je ne veux pas faire la fine bouche. Qu'on s'y ennuie, je le conçois toutefois : la fantaisie n'est pas la farce. Autrement plus exigeante, elle nécessite l'effort d'aller saisir tels détails, telles allusions. Ce divertissement savoureux présente certes bien des qualités, il n'aura pas manqué beaucoup pour en faire une grande comédie - un cinéaste, peut-être ? La photographie assez laide continue dans le vieux jeu mais les cadrages sans imagination, le montage à la va-comme-je-te-pousse, vous ont des airs de "pas fini". Et des facilités, des redondances méritaient qu'on les gommât. Ah la la ! mais pourquoi ? pourquoi terminer son film sur une plaisanterie aussi éculée ? Je n'en reviens toujours pas... Je préfère me souvenir des bonnes surprises, le visage de Catherine Frot en surimpression sur une statuette de la Vierge ou une scène de rêve dont on émerge avec le sourire.

De ce film, j'aurai tout oublié très vite mais la bonne humeur qu'il m'infusa, comme la longueur d'un thé de qualité, me paraît devoir encore durer. N'est-ce pas gage de quelque chose ?

L'autre boulette

Non, Flo, ce n'est pas elle !

Une boule noire

Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? 
Un bougeoir ?
Un instrument de musique ?
Le plus petit cha yu du monde ?...

lundi 20 octobre 2008

Poitevin mulassier

Dix mois après la livraison d'un objet défectueux, je relance la boutique. Je n'ai pas payé. Tout de même ! Ni le vendeur, ni le comptable ne s'en sont aperçus. Cela ne traduit pas une application remarquable dans le suivi de leurs dossiers. Une autre question de fond me taraude : pourquoi n'ai-je pas, pour ma part, laissé les choses aller jusqu'à leur terme ? J'aurais pu attendre. Honnête ? ou stupide ? Ou encore : vexé de ne pas exister davantage aux yeux des minuscules ?

Il a plu jeudi. Les caves sont inondées. J'ai accepté de faire partie du conseil syndical. Qu'est-ce qui m'a pris ? 

Le Clézio reçoit le Nobel. L'information a de quoi surprendre. Je dois pourtant le reconnaître, il aura marqué l'histoire de la littérature : depuis Le Clézio, les écrivains sont beaux.

L'administration fiscale m'a adressé la semaine dernière une charmante mise en demeure. Ils n'ont pas reçu ma déclaration de revenus. Evidemment, je l'ai envoyée ! Evidemment, je ne peux pas le prouver ! Il faut que cela tombe sur moi. Ma maniaquerie s'en offusque. 



Qu'est-ce qu'un boulot ? Qu'est-ce que cela représente ? Jusqu'où s'y investir, à quel point tolérer qu'il ne participe en rien à votre épanouissement ? Je passe une succession de nuits blanches à me ronger les sangs. Je rêve aussi que par deux fois je casse mes lacets un matin. Dans certaines circonstances, le minimum devrait suffire, non ? Re-la-ti-vi-ser : tu parles. Au mieux, comme le dit la chanson, "le monde moderne m'emmerde, j'ai pas l'esprit d'initiative".

Tombereaux de soucis et d'aigreur... Je me trouve des parentés avec le cheval de trait. L'autre jour, je me suis offert une veste afin de me dessiner une jolie robe pied-de-poule. Je me suis promené lentement dans le quartier. Paris n'est jamais aussi belle que sous le soleil d'hiver. 

Pour me composer cette attitude virile, je n'ai pas pris exemple sur le Renaud chanté par Paul Agnew. Dans cette mise en scène très BCBG d'Armide, dont les représentations se sont achevées samedi et dans laquelle flamboyait le tempérament d'une Stéphanie d'Oustrac tout ardeur et braise, ce prétendu héros m'aura semblé bien falot. 

Non : le Poitevin mulassier. Je ne me connais pas d'autre modèle. Le plus doux, le plus appliqué... Alors ? Ça en impose autrement, non ? 

samedi 11 octobre 2008

"Cantus Missae : Credo" - Josef Rheinberger

Notre ensemble vocal servira bientôt de chœur-école au concours d'entrée en classe de direction d'un conservatoire parisien. Outre l'aspect ludique de s'essayer, le temps de l'épreuve, à d'autres chefs que le nôtre (nous ses jouets, ses agneaux), c'est aussi l'occasion de reprendre quelques pièces d'un programme passé pour, au moins, se désengluer des partitions et nous rendre disponibles aux exigences des candidats. 

J'ai souvent regretté de ne pas approfondir la connaissance qu'un petit semestre de travail d'une œuvre nous en donne, au-delà des trois ou quatre concerts qu'on propose, et de ne pas enfin nous constituer un répertoire. Ce sentiment ne m'a jamais semblé si aigu qu'avec la Messe à double chœur de Rheinberger, qui méritait mieux que quelques interjections mi-figue, mi-raisin. Je m'attristais de rester sur l'impression, pas seulement de pouvoir mieux la donner, surtout de pouvoir mieux la comprendre et m'en imprégner. Sa richesse se devine à la première écoute, qui en appelle d'autres. Je me réjouis d'en retravailler des extraits. Nous ne reprendrons cependant pas le Credo qui recèle bien des merveilles.

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À la première phrase des basses répondent les deux chœurs en dialogue. La précision des nuances rend cet échange plus subtil qu'une simple symétrie ; sur une écriture classique se superpose une sorte de romantisme d'intention qui donne de la mouvance à ce jeu de réponses. Le pianissimo du "consubstantialem patri" traduit le caractère évanescent de la substance en question. Heureusement, il ne s'agit pas de paraphraser, grâce par exemple à cet unisson en spirale sur "descendit de coelis", moins vulgaire qu'une ligne descendante. Et cet "incarnatus" si désincarné : quel mystère on nous promet là-dedans ! Quelle tendresse pour la Vierge ! Guettez alors comme le mi bémol des ténors, sur "homo factus est", frotte dans l'accord - douloureuse humaine condition...  L'unisson du chœur 2 sur le "crucifixus" en impose dans le dramatique, avant le "resurrexit" qui file sur un crescendo rapide. 

Les dialogues entre chœurs, entre telle voix et les autres, reprennent ensuite avec une intensité croissante et un apogée sur "resurrectionem" ; on en énonce la certitude avec tant de conviction, je ne demande qu'à y croire. Par un changement de tonalité ("et vitam venturi saeculi"), la pièce s'achève en pleine lumière. Les soprani se partagent un "amen" en ruban, qui devient on ne peut plus lyrique avec la phrase des ténors 1 sous les notes tenues par les autres pupitres. Et l'unisson péremptoire des deux derniers "amen" glisse sur un accord final d'une belle densité.



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J'aime les credo. La longueur du texte pourrait les desservir. Pour un athée de mon espèce, ces pièces valent moins pour ce qu'elles racontent que parce qu 'elles racontent. À côté des assertions dogmatiques, la belle histoire que voilà, si pleine de rebondissements ! L'occasion d'un récit souvent enlevé et imagé. 

Nous n'atteignons pas ce niveau de fondu, d'homogénéité du Kammerchor de Stuttgart. Je n'aurais pas une seconde la prétention de le penser. Je serais juste bien content qu'un jour nous puissions donner l'impression de dire autant de choses.

mardi 7 octobre 2008

Les montagnes jaunes

"Ce qu'il y a dans la montagne ?
Sur les cols des nuages blancs...
Je ne puis qu'en jouir tout seul
et ne saurais vous les donner."

Réponse à l'Empereur qui voulait savoir "ce qu'il y a dans la montagne"
T'ao Hong-King (452-536)

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Les pics se dessinent l'un sur l'autre, l'encre se délaie dans la distance. Par temps clair, le regard saute par-dessus les gorges. On avance de trois pas : les monts s'agencent encore différemment dans une perspective infinie. 

Aux heures de brume, la fraîcheur ne s'élève pas, elle saisit. On ne l'attendait pas, subitement le nuage nous pénètre. Le versant opposé se devine à peine. On continue à gravir quelques marches. A la faveur d'un étiolement du nuage, roulé par des mouvements d'air continus, on aperçoit la crête. Elle n'a jamais paru si proche.

La spirale d'un escalier enserre le rocher, les marches filent tout droit au fond d'un canyon, s'accrochent comme les pins à flanc de montagne, au-dessus d'un à-pic. Tout autour n'est que relief mais la topographie ne présente aucun obstacle. On se promène dans la montagne, dans ses pleins et ses déliés. Un chemin plonge dans la Mer de l'Ouest puis s'infléchit vers le Pic du Lotus. Ce n'est d'ailleurs pas un chemin ; qu'est-ce que c'est ? On le dirait posé là comme une brindille par le vent. 

Tant de peintres les ont célébrées, tant de poètes les ont chantées. Tant de lyrisme qui nous presse. Et cela semble si facile : voyez-les refléter nos âmes ! Oh ! pas d'emballement, regardons-les pour ce qu'elles sont. On pourrait souligner le caractère éminemment chinois de ces paysages changeants. Pour ma part, je les ai trouvées dans un état de nature bien ambigu : si accessibles et visitées qu'on les croirait hospitalières...

samedi 4 octobre 2008

Zhu Derun



Voici un arbre encore que j'aurai longtemps contemplé. Le tronc semble fait de la matière même du rocher. Aux brins d'herbe à sa base, tout en griffes, je ne me frotterais pas plus qu'à ses épines. S'il est mort, tout est mort autour de lui. Dans les branches s'accrochent des lianes, des rubans, que le vent porte jusqu'à l'abstraction. Et quelle énigme que ce cercle ! un cercle parfait sur le papier, dans lequel le monde entier se reflète. Ainsi, plus je le regarde, plus je me pénètre de l'évidence d'être fait, moi aussi, de la matière même de ce rocher.


Crucifixus
A. Lotti