L'action prend place dans une possible maison de campagne, cernée d'une forêt tout aussi possible et indifférenciée. L'absence de plan continu de l'une à l'autre, ou un montage abrupt, délimite des champs hermétiques. La maison s'élèverait aussi bien au cœur du village ou au bord de la nationale si on ne nous informait du contraire. Il faut croire. Chacun de ces espaces se fait scène d'un certain théâtre : pourquoi pas ? De la forêt à la maison, un carré de pelouse, cerné d'un mur dont on n'apercevra que la face intérieure, assure une manière de transition. Dans ce bout de jardin clos, face à la porte, notre arbre n'en finit pas de perdre ses feuilles en un automne fait exprès. Les tons, une lumière dorée qui tranche derrière le lugubre des intérieurs, dans une demeure dont on comprend mal les agencements, deviennent la matière d'un jeu de contrastes et d'indifférenciation. Ces partis-pris signifient donc quelque chose. Faut-il y voir de plus près ?
Finalement non. Déjà l'affiche en disait trop : regardez, l'arbre seul porte une ombre ! L'arbre existera donc, chacun cristallisera sur lui les états de son âme mise à nu. Les personnages, quant à eux, ne quitteront pas le cadre qu'on leur a dessiné. Peut-on vivre sans ombre ? Je suivais la mienne sur le trottoir tout à l'heure, heureux de nous voir débarrassés des ciels mornes de l'hiver qui vous nimbent d'un éclat blafard - sans ombres. Au cinéma, si le scénario le définit tout à fait, le personnage ne sortira pas de l'écran, étriqué dans ses deux dimensions, gêné aux entournures. Il ne pourra lever un bras, hausser un sourcil sans qu'on pense : "évidemment, parce que"... Les personnages gagnent en épaisseur à se définir un peu en creux. Le paradoxe n'est qu'apparent. Ce creux-là, la fiction par magie l'emplit mieux qu'un discours.
Dans L'Arbre et la forêt, tout s'explique, tous tiennent leur place, rien n'est laissé au hasard. La musique aussi doit forcément faire sens. Elle emprisonne encore davantage le personnage de Frédérick interprété par Guy Marchand. Il ne s'agit pas seulement de son goût pour Wagner ; chaque extrait du Ring superpose un discours sur l'image et souligne un état ou une intention. Marianne (Françoise Fabian) en relève une explicitement. On peut en trouver d'autres, comme cette fin sur le prélude de l'Or du Rhin, œuvre elle-même considérée comme le prologue, l'exposition des trois "mouvements" à suivre. Comment ? Pour ces personnages enfin délivrés de leurs enfermements intérieurs, tout commence au générique de fin ? Eh ! oui, on aura compris.
Dans ce film taillé au cordeau, il en est une qui tire sa folle épingle du jeu. Je n'avais pas étudié la distribution avant de voir ce film, je l'ai donc retrouvée avec surprise et bonheur. Une fois et vite percé le secret de famille, seul un personnage extérieur à celle-ci pouvait renouveler un semblant de tension dramatique. Et cette ex-belle-fille décèle à la fois moins et davantage dans cette histoire que ce que les autres ne veulent y mettre - bien mieux qu'un faire-valoir, plus sûre et plus saine. Catherine Mouchet donne ainsi un peu de son souffle à l'œuvre, de sa diction particulière, laissant traîner un accent sur telle syllabe ou des fins de phrases comme en suspens. C'est un beau personnage qu'elle nous sert là en trois ou quatre scènes, le plus simple et le plus libre à la fois. Ses intentions sont d'ailleurs les moins formulées. On pourrait juger déplacée sa façon de rester chez ces gens à qui plus rien ne la lie, de les écouter si activement, de tenter d'extirper des autres ce qu'ils ont d'enfoui, de choisir précisément la musique qui les fera pleurer. Mais je la crois vouloir les tirer vers son propre versant de la liberté.
On ne la voit pas assez. On ne l'entend pas assez. Elle transfigure chacune de ses répliques mais je déplore finalement sa présence, cause chez moi de tant de frustration dès que la caméra la quitte. Et je pourrais enfin m'attrister de ce qu'un bon gros sujet nécessaire comme celui-là n'ait pas donné lieu à davantage d'attention et de finesse.
1 commentaire:
Cher Patrick,
Ombres et Lumière : J.B Pontalis :"La traversée des ombres."
Un tournant dans ma courte vie:
" Je me demandais : De quoi l'ombre portée pourrait - elle bien être la métaphore ?
Réponse : de l'Inconscient, cette grande force qui nous anime comme une source de vie ou nous accable comme étant la mort en nous.
Quant à l'analyse, si elle est engagée sans trop de précautions,
qu'est - elle d'autre qu'une traversée des ombres ? "
"Il nous faut croiser bien des revenants, dissoudre bien des fantômes, converser avec bien des morts, donner la parole à bien des muets, à commencer par l'infans que nous sommes encore, nous devons traverser bien des ombres pour enfin, peut - être, trouver une identité qui, si vascillante soit - elle, tienne et nous tienne." J.B.Pontalis .
Merci pour cet article et ton ressenti du film : cela parle.
En ce qui me concerne je cite Pontalis car c'est à ces cotés que j'ai pu entrevoir concevoir sentir Ombres & Lumière.
Je conclurai en citant Gaston Bachelard et qui disait :
"Ce n'est pas en pleine lumière, c'est au bord de l'ombre que le rayon, en se diffractant, nous confie ses secrets."
En ce moment je re - visite Jim Jarmush question Ciné & Lumiére &Ombres et décalé,cela décoiffe!
Et comme un prétexte je vais en profiter pour re - lire Pontalis!!
Merci donc.
. PHILIPPE .
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