lundi 8 mars 2010

"L'Arbre et la forêt" - Olivier Ducastel et Jacques Martineau (1)

Certains demi-échecs irritent plus que la nullité. Au moins cette dernière joue-t-elle la franchise : aucun espoir n'est permis. Sur un naufrage complet, pas besoin de tergiverser. On constate. On s'en remet vite en fin de compte, le lendemain déjà on aura oublié. C'est le mérite de l'exécrable. Mais des premiers, les qualités gâtent les défauts, non l'inverse. Dans ces demi-échecs, entreprises aux résultats en demi-teinte, les erreurs ou les imperfections perdent le bénéfice de la brutalité pleine et sincère, bien préférable. La différence ? L'amertume, car même les bonnes idées goûtent en leur défaveur ; elles laissent trop deviner ce que ces "mi-figue" ne seront pas "mi-raisin", et toutes les nuances de saveurs qu'elles auraient pu haler avec ça. Le pourrissement s'étend souvent depuis la face qu'on croyait la plus saine.

On nous a déjà fait le coup avec "La Journée de la jupe". Enfantine, la recette du demi-ratage, rien que du petit ordinaire. D'abord un bon gros sujet, que les mal-intentionnés qualifieraient de juteux, qu'on pourrait dire aussi bien "nécessaire" pour céder à la mode d'un certain langage, c'est-à-dire passionné, politique, sociologique, syncrétique des manières dont chacun, sur des plans multiples, intime et social, croit sentir et comprendre son époque. Tout est là : le bon sujet, objectivement bon. C'est non seulement l'unique condition "nécessaire" et elle s'avère suffisante, ce qui réduit avec bonheur l'ampleur de la tâche. La suite est un jeu d'enfant puisqu'il n'y en a pas. Suivez plutôt : le réalisateur ne semble pas manquer d'imagination ? Changez-en. Un aveugle fera l'affaire, un paralysé aussi bien si c'est par le sujet. Travailler la narration ? Un scénario, ne l'oubliez pas, se réduit à l'énoncé : il est ficelé quand tout est dit. Des dialoguistes ? Pourquoi ? Ils risqueraient de faire parler un ministre comme un ministre en mieux, un flic comme un flic en mieux. La transcendance, c'est la mort du sujet. Hop ! Et puis par pitié, ne fouillez pas trop les personnages, ils risqueraient de s'incarner. Les acteurs s'en débrouilleront s'ils ont l'étoffe. Voyez ? Simple comme bonjour. Ne surtout pas laisser reposer - contradiction foncière avec l'esprit même de la recette. Servir brûlant.

Ni génial ni ridicule. Ni beau ni détestable. Ni assez fort, ni trop amorphe. On vous remerciera de toute façon d'avoir effleuré la question. Les enseignants s'y reconnaîtront, les élèves s'y reconnaîtront, tout le monde y trouvera sa part de filandreuse vérité. Voilà le plus scandaleux : vous n'aurez fait que mollement votre travail. On ne vous en tiendra pas rigueur parce que le terme même de rigueur a perdu tout sens depuis longtemps.

On trouve hélas parfois de ces cancres qui n'ont plus de raison et prétendent oublier notre savante petite manière. Alors ? On n'en fait qu'à sa tête ? Si ça vous chante. Après tout, vous vous userez plus vite à ce labeur. Et si dans "Un Prophète" les détenus ou anciens détenus retrouvent aussi cette fois la vérité de leur prison, ne pouvait-on pas se dispenser des falbalas ? Pourquoi se mettre dans des états pareils, suer eau, sang, alcool, hurler comme un possédé ? On s'autorise du monde là-dedans : de l'image, de la lumière, du rythme, du développement, de l'invention, du cru et du cuit... Bah ! Vous n'avez pas peur de l'indigestion ? Et puis travailler son personnage jusqu'au mythe ? Écrire ? Filmer ?! Je vous jure, l'infinie tristesse...

2 commentaires:

Philippe de Bordeaux filipek a dit…

Cher Patrick,

Le consensus doit faire loi à présent au cinéma comme ailleurs cela doit plaire au plus grand nombre,en utilisant tous les procédés.

A la limite je me réjouis de ce "conformisme" et cette "fadeur" car elle m'a obligé à aller voir ailleurs;vers le méconnu,le moins accessible ,l'exigeant; ou la marge ou les indé...
C'est tellement "mauvais" le tout préparé et calculé que tu ne peux trouver que du beau après en cherchant!

Quant au cinéma c'est devenu tellement multi - arts (soi disant Art) qu'on arrive plus à le juger à le sentir.Un bon film ca doit résonner des jours des semaines et certains une vie
Et dire qu'on veut nous faire
passer à une probabilité de 3d mais on voit en 3d!!!

Du business,des accessoires pour se re - nouveller et aucun concept un peu profond derrière: de la belle surface et encore je la trouve vomitive.

Bravo pour l'article.

.Philippe.

Patrick a dit…

Merci Philippe.

"Et dire qu'on veut nous faire passer à une probabilité de 3d mais on voit en 3d!!!"

> C'est tout à fait juste. J'ai tenté l'expérience une fois, pour me convaincre que la technique n'apporte pas grand-chose à l'affaire, et certainement pas la magie qu'on nous vante. D'une certaine façon, je suppose que le cerveau reconstruit la dimension manquante sur la pellicule ; surtout, je n'aime rien tant qu'une bonne vieille profondeur de champ...

Cet article appelle une suite, puisque je n'ai pas encore eu le temps d'aborder le film dont je veux en fait parler, "L'Arbre et la forêt", ainsi que le titre l'indique.

D'autre part, je profite de cette réponse pour préciser à toutes fins utiles, à ceux qui ne saisissent pas l'ironie, que j'ai vraiment, vraiment beaucoup aimé le film d'Audiard !