Vendredi, nous avons été présentés. Je l'ai emmené au cinéma. Le temps de le déposer chez moi pour ressortir aussitôt - le lendemain je l'ai retrouvé là comme s'il ne s'était pas ennuyé une seconde en mon absence. Je lui ai proposé un Beauté Académique 2 parce que j'en avais envie. Alors ? Est-ce que ça lui disait ? Et nous voilà lancés dans l'affaire, eau frémissante et multiples tasses sur un plateau, toutes choses que tout le monde connaît dorénavant par cœur. Mon corps trahit son contentement par des détails. Si le thé me paraît bon je souris comme un âne. Tandis que nous sifflions une première rasade, je souriais déjà - d'une expression plus appuyée, plus niaisement béate encore sur le deuxième passage, modèle d'équilibre et de densité, mêlant douceur et profondeur, quelque chose comme cela, peut-être :
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Le voilà d'emblée qualifié pour les quarts de finale. On s'y attendait, non ? Mais il ne suffit plus maintenant d'arborer sa permanente et sa fossette. Dans certaines épreuves l'afféterie ne fait pas illusion. Plus question de pose, le mérite exige des démonstrations plus formelles.
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À ma gauche : Simone, "entrée de gamme" née sous X il y a cinq ou six ans. À droite : George Abitbol, tout pimpant dans son cachemire Yamamoto. Chargés tous deux en proportion de leur contenance du même Beauté Académique n°2. Pour ce duel, les durées de chaque round s'entendent équitablement : un temps de parole à la seconde, nulle contestation possible.
Avant l'issue du premier tour, les arbitres s'inquiètent. La verse de Simone s'avère nette et rapide quand George affiche une débonnaireté inattendue. Ses nerfs tiendront-ils la distance ? La première a vu passer des Tie Guan Yin ces derniers temps. Ces deux éléments joints laissent espérer une liqueur plus florale à gauche - pas du tout. La différence se dessine dans la subtilité : on devine une liqueur plus huileuse à droite, plus onctueuse, surtout légèrement plus verte. S. ajoute : "quelque chose de terreux". Pour moi, de plutôt vif et métallique. Des culottages si disparates doivent s'exprimer quelque part là-dedans. Dans tous les cas, cela ne joue d'abord au désavantage ni de l'un ni de l'autre.
Aux deuxième et troisièmes rounds, les juges s'amusent à affiner à l'aveugle leurs impressions. Même si la statistique n'est pas représentative, 100% de bonnes identifications les rassurent quant à l'objectivité des écarts de points relevés. Définitivement plus de vivacité à droite. Sur une liqueur très chaude, Simone manifeste d'emblée un caractère plus suave et flatteur. Mais que la température s'adoucisse et bien vite George joue sa partition avec une délicatesse tout en nuances. Les détails ressortent avec davantage de profondeur. Cela rend ses interventions un peu plus intéressantes - un peu plus équilibrées, aussi.
C'est drôle, exprimer des différences, les identifier et les énumérer, c'est déjà trop durement parler. Dire : "plus ceci" ou "davantage cela" dépouille complètement l'autre partie de la qualité évoquée, alors qu'il ne s'agit que d'une gradation subtile et nuancée, non d'un truchement sans équivoque des caractères. Cela me rappelle les compétitions de gymnastique de haut niveau où les juges, pour une note sur 10, ne donnent des évaluations qu'entre 9,7 et 9,9. Une échelle exponentielle permettrait-elle de mieux séparer les composantes, comme par chromatographie ? Là où les nombres, sur une échelle linéaire, échouent à traduire une réalité multidimensionnelle, la langue - la mienne en tout cas - n'y réussit qu'à peine plus élégamment. Voilà par exemple pourquoi je ne propose jamais de notes de dégustation, n'ayant toujours pas trouvé, après plus d'un an, comment parler du thé ; voilà également pourquoi je laisserais plus volontiers les analogies musicales (telle cantate pour un vieux sheng, tel pièce de Rameau pour un Rocher) traduire les émotions que le thé suscite en moi.
Quoi qu'il en soit, les juges ont statué. Quelque peu fatigués de l'attention soutenue dont la tâche les oblige à faire preuve, ils coupent à l'essentiel : pour le final, on monte directement à une poignée de minutes sur la cinquième infusion. Je ne comprends pas quelle pendule Simone en profite pour nous chier dans l'intervalle. Elle s'énerve toute seule, agressive, prête à mordre. S. ne s'en offusque pas comme moi mais reconnaît sans hésiter où porter sa préférence. George, lui, n'a rien perdu de son flegme. Well done.
Mais les épreuves ne sont pas terminées...
11 commentaires:
Quelle théière ! Vraiment très jolie...
Et quelle façon d'en parler !
J'adore !
Merci Lionel.
Et effectivement, un bien joli petit pot, mais qui ne m'appartient pas (encore ?) !
Georges, mais ça lui va très bien ! bonne idée :)
le côté un peu vif/minéral (je retraduis ainsi "métallique", mais ce n'est pas tout à fait ça peut-être?) que tu as noté est peut-être un souvenir de sa petite vie avec des Rochers, mais à voir.
Georges est très appliqué sur les infusions plus longues : bon extracteur, il va aussi te sortir un totum plus plein. Bonne "texturisation" aussi, avec des miellés c'est très agréable.
si tu as le Rou Gui 3 de Taïwan, ce sera intéressant de faire un côte à côte avec ta lin guo xian.
N'hésite pas non plus à lui faire un gao shan cha 5 ou un dong ding 3 si tu as ça en stock : plus "verts", ils ont aussi un côté quasi sucré qui sortira bien.
Le Anxi Tie Guan Yin 1 lui va bien aussi (c'est un thé qui va vers le miellé) ; bai ye dan cong 4.
je n'ai pas essayé de anxi tie guan yin dit "vert" avec, mais je pense que ça devrait bien se passer. ça pourrait même être un bon étalon d'appréciation (sur l'aspect du traitement des subtilités).
jolies photos ! elles rendent bien son graphisme, sa personnalité -et la couleur aussi, ça c'est pas toujours évident à attraper dans l'appareil, la couleur, bien vu !
thxxxxx :)
"vif/minéral" : mais oui, Flo ! J'avais oblitéré ce pan de son histoire. En filigrane un vague rappel de "yan yun", peut-être... C'est possible.
Pour les couleurs de la terre, je me sens totalement tributaire de la technique, les résultats sont imprévisibles sur les clichés. Déjà, entre la première photo et la dernière de ce post, la couleur n'est pas du tout la même. La première est probablement plus fidèle.
Bon, je reprendrai les essais la semaine prochaine, je pars demain tôt comme tu sais. Le Bai Ye Dan Cong 4, c'est une bonne idée, je commencerai probablement par là. J'aurais bien envie de tester un truc genre Shui Xian de Taïwan, je n'ai pas le Rou Gui 3... Un Tie Luo Han ou un Jin Suo Chi, serait-ce trop le brusquer ? Si je veux revenir ensuite sur le Beauté Académique, ce serait peut-être un peu too much... A voir.
Bonne semaine !
Oui c'est vrai que sa couleur est difficile à cerner. Elle reste très belle sous quelque angle/lumière que ce soit.
C'est donc une théière en transit de Flo vers chez toi Patrick ? Quels thés y préparais-tu Flo ? Quel potier ?
J'en profite pour te demander Flo conseil sur des thés. Quels thés me conseillerais-tu, wulongs-rouges pêle-mêle, qui répondent à mes critères du moment : gourmands, fruits secs, amandes, raisins, miel, fruits rouges, de la mâche, pas trop verts, un minimum de complexité...
merci d'avance, et merci à vous 2 pour la qualité de vos textes sur vos blogs respectifs
'À quoi tient la séduction ?'
Excellente question ! La vue de cette théière me fait dire que toute ma vie je serai amoureux des théières, moi qui croyais avoir atteint une sorte de climax, avec mes actuelles 3 théières. Eh bien non ! Cette théière me boulverse en quelque sorte. La fidélité en matière de théières ? Le mariage ? Non, impossible ! Un perpétuel renouvellement, une boucle du progrès infinie...
Seule ma Yang Wen Ji est absolument indétrônable à mes yeux, au delà, je constate que le coup de foudre pour arriver tous les jours...
avec shui xian de taïwan, ça va très bien marcher, à coup sûr.
tu peux sans souci lui faire passer un Rocher, la seule chose c'est que si tu fais suivre immédiatement par un gong fu cha avec un wulong de type miellé voire plus "vert", tu auras probablement quelques traces aromatiques de rappel, mais ce n'est pas énorme. Tu peux t'arranger avec Georges en faisant glisser des suites sans "différentiel" aromatique fort : par exemple Rocher->Shui Xian de Taïwan(une ou plusieurs fois)->Beauré académique2->dong ding2 ou 1, par exemple, ce sera moins un "saut" que si tu faisais direct Rocher->Dong Ding.
Et encore. ça peut justement présenter un intérêt pour observer le comportement de la terre, que de passer sans chercher de transition d'un maillon à l'autre d'un chaînage aromatique.
En fait l'affectation à une classe aromatique précise, c'est surtout sur le long terme et sur une théière qui travaille fréquemment que c'est "important", au sens où la terre est entraînée, et travaille de mieux en mieux sur sa matière dédiée. mais même ainsi, si tu fais passer un thé un peu en dehors (un rocher dans une terre dopée aux miellés), ça passe bien.
je me suis fait une règle contradictoire : rigueur (en fait je sors à peine de la psychorigidité) dans l'affectation, souplesse dans la définition des contenus affectés. Si tu raisonnes par "regroupement aromatique" tu ne peux guère te planter.
on a le temps d'en recauser.
excellent break (devinette à 0,3 euros : qui a dit "j'ai vraiment besoin de faire un break" ? ), du soleil et de jolies choses pour les yeux !
:)
Super ta manière de raconter l'histoire Patrick !
edp
@Lionel :
> c'est une Wang Jia Qing, environ 11cl.
Elel a démarré sur des miellés ; ayant acquis une autre Yang Wen Ji que j'ai mise sur les miellés, j'ai commencé à faire des Rochers avec. Retour aux miellés après cette brève période et un temps de repos (un p'tit bain, un gong fu cha test, apparemment George s'y fait).
> alors pour les arômes qui te parlent en ce moment :
- il me semble que les miellés taïwanais pourraient beaucoup te plaire. je suis très fan de Tai Bai Zui Jiu (que j'ai eu l'idée d'aller humer après que tu me l'eusses cité d'ailleurs au début de l'été 08 si mes souvenirs sont bons) ; des Beauté académique ; Shui xian de taïwan, pas un "miellé pur sucre", est fantastique. WuYi de taïwan un peu davantage torréfié, à de délicats et très gourmands arômes type "pain d'épice".
-anxi tie guan yin 1
- bai sui xiang 2 est un Rocher, mais je le trouve très "miellé" et bien gourmand.
- thé rouge : en ce moment je bois bien le panyong "d'or" de Thés de Chine, vraiment très bien, j'adore le nez (y compris le dépôt volatil laissé sur la coupelle qui recueille la dose de thé avant que de la mette dans l'ustensile d'infusion).
j'aime beaucoup beaucoup Zui Jia Ren : un dan cong fabriqué en thé rouge. je ne pense pas que l'on puisse le dire "pâtissier" par exemple, mais je le trouve réellement gourmand (fruit/ amandon grillé).
- dan congs : alors là ça dépend si tu accroches ou pas, ils ont quand même souvent un profil qui intègre une note allant vers le sauvage, même si pas systématiquement, donc je serai plus prudente en termes de suggestions là-dessus.
- dans les wen shan bao zhong, les gao shan cha, les anxi tie guan yin, on trouve de profils allant vers la pâtisse, un floral/confit, mais c'est plus vert.
a priori shui xian de taïwan et wuyi de taïwan pourraient très bien correspondre. Si tu veux tenter qqch de pas trop onéreux, je crois que wuyi de taïwan est une découverte sympa.
Pour bien connaître les tendances de Georges, à mon avis, ça pourrait être intéressant de lui faire faire un petit stage avec des fleuris (genre Gao shan ou Tgy), faudra peut-être quelques passages pour quil s'habitue... ensuite si tu veux la remettre sur des affectations plus sombres et plus mûres, ça ne devrai pas poser de problèmes.
Lors de ma dernière visite, je demandais conseil à Gilles pour une théière bien adaptée pour faire des thés fleuris, il me conseillais le sthéières de c epotier et d'un autre dont je n'ai pas mémorisé le nom, il semblerai donc que georges ai une affinité pour cette famille...
Et est-ce que ta Georges Abitbol mange des CHIPS !?! ;-)
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