mardi 27 mai 2008

Miteux (addenda)

Toujours en quête d'une paire de chaussures (bien dessinée, adaptée à ma morphologie, dont le cuir ne se crevasse pas au premier port ni ne se craquelle préférentiellement d'un côté, bref : une paire de chaussures), je poursuis mes investigations en collectant des avis sur internet. On y trouve des conseils, des forums de passionnés, voire des ateliers de relooking, toutes pages dont un rapide survol m'interloque.

L'habit cher, le goût qu'on peut en avoir, ne me scandalise pas. L'impeccable tombé, la qualité d'une finition se monnaient de manière souvent éhontée mais logique. Qui comprend qu'on se fende de centaines d'euros pour telle théière ou tel thé ? Quitte à s'entourer de beaux objets, autant les porter si l'occasion s'en présente. La Zhu Ni en boutonnière : chouette idée du luxe.

Toutefois, la consultation de certaines pages me chiffonne. Le relooking s'affirme d'autant plus réussi que la transformation est complète. Au final, les lignes qu'on suggère, aussi élégantes soient-elles, se ressemblent toutes, avec une coupe cintrée accentuée, l'ajustement des pantalons ou le pointu des souliers. L'uniformisation contamine le langage, avec la fréquence des adjectifs "diabolique" ou "démoniaque" en un sens louangeur, dont chaque occurrence sur les forums m'est devenue douloureuse. 

Sottement, cela m'attriste. L'art de la séduction, objectif affiché, entretient des codes visuels assez vulgaires. Surtout, affreusement lisibles. N'embarrasse pas toujours ce que je concevais comme l'ultime agrément : l'élégance d'être bien.

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S. m'a passé commande d'un article enjoué, enthousiaste, sur un sujet moins futile que les chiffons. Je n'y réussis pas. Je n'ai rien à dire sur le dernier Desplechin, bien écrit, bien monté, où la façon d'énoncer ce qui se tait habituellement désamorce toute possibilité de charge émotive, rendant l'ensemble froid, intellectuel, totalement dénué de réalisme - un conte. Je n'ai rien à dire des araignées de Louise Bourgeois, dont les grands formats me séduisent davantage que les petits qu'il me semble voir courir au sol ; encore moins du reste de sa production, inégale, ni belle ni dérangeante, plastique, artistique, "intéressante", c'est-à-dire pas géniale. J'aurais à dire de l'Orestie mise en scène par Olivier Py, les 4 heures de souffrance qu'il nous a infligées à faire hurler ses acteurs comme des porcs qu'on égorge ; je sens la force m'en faire défaut. Et S. a dit : "enthousiaste" !

Rien ne colle ! Et la futilité, sans m'inspirer, me délasse !

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P.S.: Je suis preneur de toute traduction de relooking, terme affreux pour lequel je ne trouve pas d'équivalent en français.

Vaisseaux



"Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d'effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j'ai de grands départs inassouvis en moi."


Vaisseaux, nous vous aurons aimés... - L'Horizon Chimérique.
J. de La Ville de Mirmont, musique G. Fauré

mercredi 21 mai 2008

La compagnie

C'est rigolo, ça finit toujours quand même par me manquer...

mardi 20 mai 2008

Miteux

Le soleil écrabouillait Paris : idéal pour une lessive. Je dévalai les étages, des semaines de linge sur l'épaule, pour constater que les quelque deux cents mètres qui séparent mon immeuble de la laverie s'encombraient, sur les deux trottoirs, d'un vide-grenier. Je lançai trois machines et hop ! rebroussai chemin pour flâner entre les étals.

Plutôt qu'y déambuler, je me frayais des passages. Dès que le temps s'éclaircit, le parisien tourne à la complication métastatique. Une chienne s'aventurait sur la chaussée ; une femme aux chevilles enflées, assise à l'ombre sur une chaise pliante, la rappela : "Mathilde, viens ici !" Non que la chienne manquât se faire écraser, la circulation était interrompue, mais parce qu'elle risquait de s'attraper du mal en plein soleil. La vieille maîtresse vendait des bijoux prétendument de famille et des souvenirs de voyage d'un arrière-grand-oncle. Elle disait : "Ça, je l'ai toujours connu chez moi et indépendamment de ce que cela vaut, je fixe un prix sentimental". Les prix au demeurant importaient peu. Quelle valeur que tout cela ?

Les femmes géraient les stands. Certains maris blagueurs, qui s'entretenaient avec les amis de passage, se saisissaient d'un objet sur la table en s'écriant : "Mais c'est à moi, ça !" Les professionnels à voix basse se passaient le mot : rien d'intéressant. Vraiment rien : de vieux poupons en celluloïd, des bibelots, des Harlequin. Les dames avaient exhumé toutes les vieilleries de leurs armoires, les costumes de leurs défunts époux et les jupes qu'elle n'avaient pas portées depuis les années 50. Un homme entre deux âges, rond, le cheveu soigné, le visage biffé de lunettes épaisses, exposait quelques toiles et des dessins possibles. Avec afféterie, il haussait la voix et discutait fort avec une femme professeur : "Chez vos élèves aussi on doit voir tout de suite qui est homo et qui ne l'est pas..." Quantité d'horloges déglinguées, de réchauds et d'appareils électriques dont on spécifiait l'état de marche comme on en doutait ; des colifichets, du vieux matériel de scène, des annapurnas de vaisselle, l'horreur satellisable.

Je paniquai un peu. L'odeur des fripes m'incommode. Après la promenade, je voulais du propre. On s'extasie sur les choses, leur histoire ; des centimètres de poussière l'étouffent. Sous ce voile demeure un rabougrissement à peine moins poussière, le récit d'un passé qui n'est pas le mien, étouffant, sans mythe. Et soudain, un pigeon me chia sur la tête.

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S. voulut revoir les Bruegel du Kunsthistorisches Museum. J'en profitai pour arpenter les rues de la ville en quête d'une paire de chaussures - neuves, donc, de préférence, et pas trop immondes en ces pays où on ne plaisante pas avec l'aisance de l'orteil. De la cathédrale Saint-Étienne à la Hofburg les boutiques se bousculent et rivalisent de clinquant, y compris des marques les plus prestigieuses. Elles m'appellent sans me retenir plus de quelques secondes et me surprennent encore une fois dans un état de vague fébrilité. Je ne pénétrai dans aucune d'elles et tombai en arrêt devant une vitrine Chanel. 

Des mannequins dégingandés, dans des poses suggestives, le bassin en avant, arboraient des minishorts qui s'effilochaient sous des complications de chaînes et de hauts minuscules. À l'inverse, des lunettes protubérantes leur mangeaient la moitié du visage. 

Pourquoi ai-je l'impression d'avoir croisé mille fois ces silhouettes ? Que reste-t-il de la Maison Chanel ? Quel train ai-je encore manqué ? En quoi travestit-on le raffinement de la femme française, dont le corps ne se libère pas dans l'agressivité mais dans le même mouvement que son esprit ? Et si ces tenues ne résument pas la production des couturiers de la marque, quelle image souhaitent-ils en afficher ? Allez, au fond, je suis vieux jeu, plus miteux que bien des fripes : ma sensibilité se laisse trop facilement chatouiller par les mouches.

lundi 19 mai 2008

dimanche 11 mai 2008

Vienne

Ville de contraste,
Vienne arbore ses merveilles :

ses églises

variées,

son opéra

avec vue,

ses pâtisseries,

ses vaches qui jouent au backgammon,

des choses compliquées,

des choses simples.

Taiwan s'invite dans ses musées

et des bonnes femmes crient sur ses toits
(son nom de Taipei dans Vienne déserte).

Et ces corniches,

ces corniches,

ces corniches...

(certaines même assez chouettes...)

C'est sûr, on n'y rit pas tous les jours

(hein, petit ?)

mais l'ambiance de ses cafés est terrible.

Il y règne un esprit

bigarré.

Quelle tristesse de la quitter.

La poupée d'Oskar Kokoschka

En 1918, Alma Malher, mariée à Walter Gropius, tombait enceinte de Franz Werfel. Pendant ce temps, au retour de la guerre, un Oskar Kokoschka blessé, délaissé, plus perturbé que jamais, faisait réaliser une poupée à l'image de son ancienne maîtresse. Il souhaitait que l'objet, grandeur nature, respectât sa morphologie, ses mensurations, lui ressemblât au mieux pour se donner l'illusion de la posséder encore. Au déballage, le résultat le déçut. Je le comprends : je vois mal comment cette peau d'ours, ces genoux informes, ce visage lisse peuvent évoquer l'humain. Autant caresser son chien ! Des années plus tard, après l'avoir dessinée de multiples fois, il finit par éreinter la poupée, en soutirer tout ce que son imagination pouvait en extraire, la presser et la vider comme il n'avait pu le faire de la femme de chair dont elle était inspirée. Guéri !
Si Alma ne l'avait pas quitté, se serait-il lassé d'elle moins rapidement ? 

Cette histoire m'a remémoré un reportage télévisé. (Il m'est arrivé d'avoir la télé !) Un vieillard états-unien y présentait le rite qu'il s'était inventé. Il parait de manière affriolante des poupées gonflables, qu'il travaillait, dans des positions compliquées, avec mises en scène et grand renfort de harnais suspendus au plafond de sa chambre. Il se photographiait pendant les actes. Il retouchait ensuite les clichés pour remplacer le visage des poupées par celui de son épouse morte.

La démarche n'est pas plus obscène que celle de Kokoschka. Les deux hommes souhaitent honorer à leur manière la femme qu'ils ont perdue, par les talents qu'ils s'imaginent : l'un en voulant continuer à la peindre, l'autre à la baiser. O.K. exhiba la poupée, dépensa follement pour l'habiller, la faire ressembler à quelque chose, à défaut de la faire ressembler à son Alma. Le vieux lubrique s'en tirait avec davantage de bonheur. Au fond, si cet article démontre une chose, c'est que j'ai bien fait de me débarrasser de la télévision, quand j'avais l'art d'y dégoter le pire.

Au Belvédère de Vienne, dans l'une des salles de l'exposition consacrée au peintre, trônait une copie de la poupée. L'objet attirait davantage le regard que les coloriages qui l'entouraient. Contrairement à l'original, le visage était constitué de la même peluche que le corps, achevant de la faire ressembler à un ourson affublé d'une perruque, avec comme des coquetteries dans l'oeil. La poupée de Kokoschka a en outre suscité de respectables travaux. Il en faut autant, des textes, des copies, des témoignages, des toiles, de la couleur, pour nous rappeler, puisque cela semble nécessaire, les vulgarités, les petites mesquineries des grandes douleurs.

samedi 10 mai 2008

Les demi-saisons du thé

J'évoque peu le thé depuis mars. La Poire s'avarie. Je devrais l'épousseter, lui refaire une jeunesse. La Poire, c'est moi ! Comme Philippe et Bertrand, qui l'indiquent en commentaire du dernier article de la Galette, je traverse une période "sans". Je ne m'inquiète pas outre mesure ; il y en a eu, y en aura d'autres, et j'abdique à résoudre l'énigme de ces cycles.

À la fin d'un hiver de dix mois, les beaux jours me convainquent à peine. Je ne veux pas m'y laisser prendre à deux fois, après l'expérience d'un été désastreux l'an passé. Que croire ? Comment se reposer ? Quelques jours de vacances auront sans doute amorcé quelque chose.

Pourtant je continue à boire du thé de temps en temps. En grande théière le plus souvent. Ou au boulot, quelques feuilles jetées dans une tasse en terre, au plus simple. Hier j'ai été saisi, à la terrasse d'un café, d'une envie de cigarette. Je suis rentré me faire un thé - trop incertain, en tout point réfutable, mais qui valait mieux de toute façon que de céder à cette pulsion morbide. Peut-être faut-il cela, un jeûne de demi-saison pour se laver des toxines puis réapprendre les gestes. Et goûter ainsi doublement la fraîcheur des références d'un printemps déjà là. 

jeudi 1 mai 2008

Vacances

Retour à l'éclosion.