Si Alma ne l'avait pas quitté, se serait-il lassé d'elle moins rapidement ?
Cette histoire m'a remémoré un reportage télévisé. (Il m'est arrivé d'avoir la télé !) Un vieillard états-unien y présentait le rite qu'il s'était inventé. Il parait de manière affriolante des poupées gonflables, qu'il travaillait, dans des positions compliquées, avec mises en scène et grand renfort de harnais suspendus au plafond de sa chambre. Il se photographiait pendant les actes. Il retouchait ensuite les clichés pour remplacer le visage des poupées par celui de son épouse morte.
La démarche n'est pas plus obscène que celle de Kokoschka. Les deux hommes souhaitent honorer à leur manière la femme qu'ils ont perdue, par les talents qu'ils s'imaginent : l'un en voulant continuer à la peindre, l'autre à la baiser. O.K. exhiba la poupée, dépensa follement pour l'habiller, la faire ressembler à quelque chose, à défaut de la faire ressembler à son Alma. Le vieux lubrique s'en tirait avec davantage de bonheur. Au fond, si cet article démontre une chose, c'est que j'ai bien fait de me débarrasser de la télévision, quand j'avais l'art d'y dégoter le pire.
Au Belvédère de Vienne, dans l'une des salles de l'exposition consacrée au peintre, trônait une copie de la poupée. L'objet attirait davantage le regard que les coloriages qui l'entouraient. Contrairement à l'original, le visage était constitué de la même peluche que le corps, achevant de la faire ressembler à un ourson affublé d'une perruque, avec comme des coquetteries dans l'oeil. La poupée de Kokoschka a en outre suscité de respectables travaux. Il en faut autant, des textes, des copies, des témoignages, des toiles, de la couleur, pour nous rappeler, puisque cela semble nécessaire, les vulgarités, les petites mesquineries des grandes douleurs.
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