

Cette tasse provient de la boutique du musée des fours à porcelaine impériale des Song du Sud à Hangzhou. Pas moins. Je l'ai vue, j'ai craqué pour ses craquelures, tout de suite aguiché par ses formes douces et cette glaçure artistement nervurée. Malgré son poids (140 grammes), je l'imaginai aussitôt à mes lèvres, pourvoyeuse des 4 ou 5 centilitres de thé qu'elle saurait contenir. Se fût-elle présentée en deux exemplaires que je les aurais achetés tout pareillement ; elle avait bien une sœurette, jumelle hélas dizygote, que le teint jaunâtre posait d'emblée en cadette souffreteuse.
C'était donc elle. Elle en a vu, du pays !
Hier, me remettant du décalage horaire, j'essaie avec bonheur mon nouveau plateau. Je l'étrenne avec un fond de Tie Guanyin qui traîne sur une étagère. Pas inintéressant, un traitement vieux jeu en fait quelque chose de bien plus structuré que ce que j'ai bu ces dernières semaines. Et me vient l'idée de déballer la tasse. Je la fais monter progressivement en température, pour observer les réactions de sa surface ; si lourde en main, elle présente des abords si fragiles... Un filet pour commencer, sous le robinet, et petit à petit, en douceur, je l'amène à l'ébouillantage. Elle ne hurle pas, tout va bien. Zou ! une rasade de l'infusion en cours. Les belles couleurs que voilà ! quelle profondeur, quels dégradés ! C'est toute ma nature contemplative qui frémit. J'y passerais des heures. Mais il faut boire ces promesses : ma main s'avance, le geste est précis, confiant, le mouvement souple. Le nez fait son timide, n'est-ce pas gentil ? Et voilà : en bouche, totalement fluide, la liqueur a perdu non seulement ses arômes, mais une bonne part de sa structure - froid, plat comme le delta du Yangzi.

Bigre. Ai-je le coeur bien net, dans cette affaire ? J'ai tenté ce soir un comparatif sur un cuit "facile", la Fu Hai 2000 de Teamasters. Eh ! bien oui, quoi : doux mais nourrissant, simple, assez mignon tout de même. Et puis flûte, le thé importe peu, c'est d'une impression comparée de la liqueur en bouche qu'il s'agit là. Pêle-mêle sur la photo : à gauche une tasse achetée à la M3T dès mes premiers pas et à laquelle je reviens sans cesse, au fond une petite coupe en céladon de TM et la traîtresse, la perverse au premier plan. Dans la première tasse, la liqueur est vive, précise. C'est aussi dans celle-ci qu'elle reste chaude le plus longtemps. Dans la seconde, elle gagne en douceur, un velouté que j'aime assez. Le contact sur la lèvre est beaucoup plus sensuel, aussi : ma préférée. Et dans la troisième... dans la troisième, encore une fois, il ne reste pas grand-chose. Autant dire rien.
Dans ses rainures profondes s'abîment les qualités de ce qu'on y verse. Elle broie, elle mâche ; j'ai la sensation bizarre que cette tasse boit à ma place. Au regard de ce thé, je blêmis d'imaginer par quel massacre elle abattrait les références les plus précieuses à mes yeux. Pauvre de moi ! je la trouve encore bien belle, la coquine. Qu'elle parle : comment justifier une telle froideur, un tel manque de générosité ? Silence. Allez, je m'y résous : elle ne m'aime simplement pas.