lundi 16 février 2009

"Le Chant des oiseaux" - Albert Serra

En matière de cinéma, je tâche de circonscrire la critique à sa valeur informative. Si je ne la suis pas, je ne l'ignore pas non plus, ne serait-ce que pour me tenir au parfum. Alors je lis... Les Inrocks titraient : "entre Monthy (sic) Python et Straub". Une comédie acrobatique ? Au final, soyons francs : plus Straub que Monty Python. Avez-vous remarqué l'affiche en couleurs ? Mensonger ! Dans tant de blanc surexposé, un peu du rouge de ce manteau eût été du meilleur effet. Où l'on montre encore une fois qu'il ne faut s'attacher ni aux affiches, ni aux critiques, et comme on distingue la scolie du texte, oublier les discours, se refaire une innocence en ouvrant grand sa caboche aux images. 

Et de l'innocence, ce film nous en donne bien des vues. Ses personnages en sont pétris, le film les accompagne dans le temps qui leur est propre. D'ailleurs, à quoi ça sert, le temps ? Dans la vie, on s'en doute : à alimenter les carnages. Au cinéma, le cadrage et la photo suffisent pour beaucoup à la belle image - mais le temps ? Dans "le Chant des oiseaux", malgré l'immobilité de la caméra, rien ne semble jamais fixe. Les ombres de nuages invisibles, rapides et gigantesques, courent sur les collines qui clignotent dans tout le cadre. Les éléments bougent ; le vent comme l'Esprit souffle à tout-va. Les Rois mages vont aussi, viennent, tournent sur eux-mêmes, girouettes dans les rafales de leur foi. Lorsqu'il faut décider d'une direction, ils poursuivent leur ballet ininterrompu, chacun regardant dans un sens différent, l'un dépassant les autres puis se laissant dépasser, le trio redéfinissant en permanence sa géométrie. Ils disparaissent derrière la dune, quelques secondes le plan s'attarde quand on le croit fini et les trois têtes couronnées réapparaissent sans qu'on sache la raison de ce demi-tour ; ils reviennent aussi lentement qu'on les avait vus s'éloigner, aussi gauchement, ils glissent au flanc d'une autre dune. Quant à Marie, dans l'intervalle, elle ne tient pas mieux en place. Elle ne peut s'empêcher de titiller un pauvre agneau qu'on préférerait la voir laisser tranquille. Son instinct maternel semble tout entier dévolu à la bête pendant que l'enfant dort - au fond, quelle différence entre les deux créatures ? Elle le ramasse, le lâche, le reprend... Il lui a pissé dessus ? Tant mieux. Il s'en passe des choses, dans ce film !

À quoi sert la longueur ? Je n'ai vu du couple Straub-Huillet que leur dernier long métrage, "Ces Rencontres avec eux". J'en étais sorti décidé : plus jamais. Dans leur film aussi, des choses arrivaient. On y prenait le temps de prononcer des mots, de les déclamer, de dérouler les poèmes de Pavese dans leur durée ronflante, infinie. On y voyait aussi que dire un texte est un métier.



Là, c'est différent : les oiseaux ne chantent pas. Les Rois, s'ils parlent, se chamaillent ou se racontent leurs rêves, des visions à l'image de la foi la plus naïve. Et les revoilà partis, empotés, empêchés dans leur marche autant par leur obésité que par les lourds manteaux qui les ceignent. Ils mettront de longues minutes à les ôter, à s'aider mutuellement à se décharger de ces entraves pour, une fois l'enfant trouvé et adoré, continuer leurs pérégrinations. À travers des déserts de glace, de rocaille, dans une forêt de bouleaux, sur des chemins poudreux ou l'herbe de sentiers champêtres, nos vieux bidibules ahanent et dodelinent. Ces maudits cailloux qui s'immiscent dans les sandales ! Et ce sable, tout ce sable qui alourdit les pas ! Quelle peine ils se donnent sans savoir où ils vont.

Un ange veille sur les Rois, quelle grâce bizarre et indéfinissable accorde-t-il à ce film ? À la fin, ce qu'on retiendra de plus merveilleux, c'est qu'on pourrait le voir encore, le revoir aussi souvent qu'on voudra, en long, en large, les pieds au mur, lentement ou en accéléré, appuyer sur pause, replay, retour rapide et ralenti, enfin par quelque bout qu'on le prenne, on ne saura jamais si Albert Serra savait où aller davantage que ses personnages fantomatiques, indéfinis et touchants à la fois, ou si cet hurluberlu ricane encore de nous avoir bien eus.

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